Parfois crainte, la sobriété a pourtant plus d'un intérêt et prend diverses formes. Pourquoi "moins c’est mieux" ? Comment pratiquer la sobriété ? Idées.
Less is more ! Ou moins c’est mieux. Cet adage pourrait être celui de la transition écologique et solidaire.
Bien sûr, il faut consommer mieux, améliorer les performances environnementales des équipements, faire des avancées technologiques, favoriser l’économie circulaire… Mais des lendemains plus durables passeront aussi par consommer moins, c’est-à-dire plus de sobriété. 65% des Belges pensent en effet que « nous allons devoir vivre et consommer autrement dans l’intérêt des générations futures »[1].
Qu’est-ce que la sobriété ? Quels sont ses bénéfices ? Comment la mettre en pratique ? Tour d’horizon.
Sommaire :
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On associe souvent la sobriété à l’idée de modération, de frugalité, de simplicité, voire de décroissance. Il n’y a pas de définition officielle de la sobriété, les interprétations sont multiples mais elles ont en commun de vouloir réduire la consommation.
La surconsommation actuelle peut être comparée à un état d’ébriété. On consomme toujours plus, toujours plus grand et ça donne envie de toujours plus : voitures plus grosses, maisons plus grandes, plus d’appareils, plus de vêtements… 88% des consommateurs trouvent que l’on vit dans une société qui nous pousse à acheter sans cesse[2]. La sobriété consiste à sortir de cet état d’ébriété.
Le GIEC[3] définit les politiques de sobriété comme un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui évitent la demande d’énergie, de matériaux, de sol et d’eau tout en garantissant le bien-être pour tous dans le respect des limites planétaires.
Ce « moins » est en effet motivé par l’idée que ça entraîne un « mieux » pour l’environnement mais aussi pour la qualité de vie ou le bien-être[4]. 83 % des personnes souhaiteraient d’ailleurs vivre dans une société où la consommation prend moins de place[5].
Les contours de ce « moins » et de ce « mieux » sont toutefois souvent sujets à interprétation…
La sobriété passe forcément par questionner ses besoins. C’est d’ailleurs la première étape de la méthode ÉCO ou de la méthode BISOU. On peut faire ça dans tous les domaines, de l’énergie aux vêtements, en passant par la mobilité, l’alimentation… (voir exemples plus loin).
Ceci dit, la sobriété devrait aussi être collective. L’ADEME précise qu’elle « doit nous conduire à faire évoluer nos modes de production et de consommation, et plus globalement nos modes de vie, à l’échelle individuelle et collective »[6].
Il est important de replacer les gestes individuels dans un contexte plus large de sobriété car ils sont indispensables mais pas suffisants pour faire face aux défis énergétiques, climatiques et autres.
L’association Negawatt[7] considère plusieurs formes de sobriété et montre bien les relations entre les petits gestes (sobriété d’usage) et l’organisation collective (sobriété structurelle). Voici des exemples autour de l’énergie :
Leviers de sobriété |
Sobriété structurelle |
Sobriété dimensionnelle |
Sobriété |
Sobriété conviviale |
En quoi cela consiste ? |
Créer, dans l’organisation de l’espace ou des activités, les conditions d’une modération de la consommation. |
Bien dimensionner les équipements par rapport à leurs conditions d’usage (ex : une voiture de taille raisonnable pour transporter une ou deux personnes). |
Bien utiliser les équipements en vue d’en réduire la consommation. |
Mutualiser des équipements et leur utilisation. |
Bâtiments / habitations |
Encourager les appartements, limiter les villas 4 façades. |
Diminuer de la surface des bureaux et des logements. Diminuer de la taille des appareils (ex frigo, TV, écrans…). |
Diminuer la température dans les bâtiments. Baisser la température quand on s’absente et quand on dort. Utiliser des détecteurs de présence pour l’éclairage |
Cohabiter dans les logements ou dans les espaces de travail (coworking). |
Mobilité |
Densifier, freiner l’étalement urbain. Limiter les vitesses (ex à 100km/h sur autoroute). Développer l’offre de transports en commun et les pistes cyclables. |
Utiliser des véhicules adaptés en poids, volume, puissance, aux usages de déplacement. |
Diminuer le nombre de km parcourus seul en voiture. Réduire la vitesse, pratiquer l’éco-conduite. |
Mobilité partagée : partager sa voiture, utiliser le carsharing ainsi que les vélos, scooters, trottinettes en libre service. |
Tableau adapté par écoconso sur base de celui de l’AREC et des conférences de Virage Energie («La sobriété, pierre angulaire de la transition énergétique et écologique », 2022) et de Négawatt (« La sobriété énergétique au cœur de la transition », 2022).
Si certains comportements sont laissés à la seule appréciation de l’utilisateur, cela relève de « petits gestes » ou d’actions individuelles qui sont indispensables mais pas suffisants. Il faut que la société encourage les bonnes pratiques.
Par exemple :
> Lire aussi : Peut-on faire de la publicité sans freiner la transition ?
Cela suppose des politiques volontaristes pour limiter la consommation. Dans le Plan d’Actions Energie Climat de la Wallonie (PACE), on retrouve par exemple[8] une volonté de diminuer la vitesse de 90 à 70 km/h sur certaines routes, d’investir dans les infrastructures pour la mobilité active et l’intermodalité, d’utiliser la fiscalité pour orienter les consommateurs vers des véhicules moins polluants, de soutenir l’alimentation durable (notamment l’agriculture biologique), les circuits courts et la relocalisation de l’activité économique, de rationaliser l’aménagement du territoire… Mais on retrouve aussi des contradictions énormes dans les politiques. Par exemple « plaider au niveau européen pour l’interdiction des jets privés » comme indiqué dans le PACE c’est bien mais avoir accepté l’implantation d’Ali Baba à Liège a un impact climatique autrement plus important.
Le rapport du GIEC[9] indique qu’il faut combiner les changements sociaux et la technologie pour arriver à une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit, la technologie ne suffira pas mais la sobriété non plus. Jusqu’à quel point peut-on diminuer sa consommation tout en gardant un certain niveau de confort ? Loin de s’opposer, la sobriété et l’efficacité se complètent donc. C’est pourquoi il ne s’agit pas de fuir la technologie mais de l’utiliser à bon escient, notamment pour rendre les équipements plus efficaces.
Comme on entend beaucoup parler de sobriété énergétique, on se penche sur le domaine de l’énergie :
Ce principe convient pour l’énergie mais s’adapte évidemment à d’autres domaines :
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Sobriété |
Efficacité |
Chauffage |
Chauffer la pièce principale à 18°C plutôt qu’à 19°C, baisser la température quand on s’absente… |
Garder le chauffage à 19°C mais faire des travaux d’isolation, installer une chaudière à condensation… |
Mobilité |
Prendre le train ou le vélo dès que possible pour éviter des trajets en voiture. |
Passer d’une voiture thermique à une électrique.
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Vêtements |
Choisir des vêtements labellisés ou en textile naturel et locaux. |
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Alimentation |
Choisir une viande locale et bio. |
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Hygiène |
Utiliser quelques basiques de bonne qualité (savon, shampoing, etc.) |
Acheter des produits labellisés et/ou avec une composition écologique et saine. |
Multimédia |
Garder ses appreils longtemps et en réduire le nombre (par exemple ne pas avoir un smartphone + un ordinateur + une tablette). |
Passer d'un ordinateur fixe à un portable (3 à 5 fois moins de consommation) ou d'une télévision plasma à une télévision LED. |
Mais la frontière entre sobriété et efficacité est parfois floue. On pourrait par exemple considérer que, côté voiture, passer d’un SUV à une petite citadine est une forme de la sobriété dimensionnelle (voir ci-dessus). Ou qu’il s’agit d’efficacité (on consomme moins pour le même service de déplacement en voiture).
Malgré une image parfois négative (privation, restriction…), la sobriété a de nombreux intérêts et apporte divers avantages.
Voici quatre exemples.
L’enjeu est de taille : on doit réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, principalement provoquées par la combustion d’énergies fossiles. On mise donc sur l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables.
> Voir : Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50% ?
Comme l’efficacité énergétique permet d’avoir le même service en consommant moins d’énergie, c’est une voie très appréciée car elle ne remet pas en question nos modes de vie et est associée à du progrès technique.
Et si on s’en contentait ? Non, l’efficacité ne suffit pas, notamment à cause de :
La sobriété est donc indispensable. En parallèle de l’efficacité énergétique, il faut diminuer les consommations par des comportements et une organisation de la société qui peuvent affecter les modes de vie.
Comme l’efficacité est coûteuse (petite voiture électrique, bâtiment bien isolé, système de chauffage avec pompe à chaleur, vêtements écolabellisés…), il y a un risque d’écologie à deux vitesses. Avec d’un côté ceux qui ont les moyens de s’équiper et d’investir (notamment rendre leur bâtiment moins gourmand en énergie en faisant de gros travaux ou acheter une voiture électrique). Et de l’autre côté ceux qui n’ont d’autre choix que de rester avec leur logement passoire énergétique et leur vieille voiture. C’est typiquement ce que l’on a à l’esprit quand on dit que « l’écologie c’est pour les riches ».
De son côté, la sobriété est plus égalitaire car elle se fonde plus sur la satisfaction des besoins sans excès. L’association Négawatt, qui travaille dans le domaine de l’énergie, décrit d’ailleurs la sobriété comme une « démarche de réduction des consommations superflues ».
Des consommations superflues, il y en a bien plus parmi les personnes plus aisées. Quand on a les moyens, on s’interroge beaucoup moins sur la nécessité de tel service ou de tel appareil. Les « classes supérieures » ont en effet une empreinte écologique plus élevée malgré qu’elles ont plus les moyens de faire des choix durables et qu’elles sont sensibles aux questions environnementales[10]. Dans une démarche de sobriété, celles-ci devraient réduire plus fort leur consommation : consommer moins pour permettre à ceux qui en ont besoin de consommer suffisamment.
Il est malvenu de demander à ceux qui ont déjà une consommation et des émissions réduites de faire preuve de modération. Il ne faut pas confondre pauvreté et sobriété. Dans les courant liés à la sobriété, il y a notamment la simplicité volontaire, qui souligne bien l’idée qu’il s’agit d’un choix.
Une bonne illustration est donnée par la théorie du Donut de Kate Raworth. Il s’agit de respecter un plancher social (les personnes doivent avoir accès à des services tels que l’éducation, le logement, l’énergie, l’accès à l’eau…) et un plafond environnemental illustré par neuf limites planétaires que l’on doit éviter de dépasser (perte de biodiversité, changements climatiques, pollution chimique …).
Illustration : jfpochon sur Wikipedia (CC BY-SA 4.0)
Non, la sobriété ce n’est pas le retour à la bougie[11]. Au contraire, la sobriété permet d’utiliser au mieux les bienfaits de la technologie en diminuant l’effet rebond. Et la technologie peut faciliter et favoriser des pratiques de sobriété, comme l'écrit très bien l'Académie des Technologies en France : "la sobriété est nécessaire au progrès et le progrès à la sobriété". On privilégiera les low-techs, pour avoir un usage proportionné de la technologie. Par exemple :
Less is more : on a beaucoup à gagner à consommer moins. L’intérêt pour la sobriété est liée aux conséquences sur l’environnement mais aussi au lien social et au « bien vivre ». C’est ce que montre une étude de l’ADEME[13].
On le voit, la sobriété rime avec « moins » : moins de consommation, de voitures, d’appareils, d’avion, de supermarchés…
Mais à ces « moins » on peut associer des « plus » : plus de santé, d'économies, de convivialité, de pouvoir d’action, de sens, et même de liberté.
Nous avons illustré cela dans la campagne « Less is more » avec un jeu de cartes (disponible gratuitement) :
Un travail sur les imaginaires est nécessaire pour enlever l’idée que moins = triste = privation. Il y a certaines consommations qui doivent diminuer mais d’autres peuvent augmenter, par exemple le sport, la culture, les moments entre amis et en famille…
Manger végétarien, se déplacer à vélo, habiter une tiny house, pratiquer l’autopartage… La sobriété n’est pas une norme à appliquer de la même manière à tout le monde.
Chacun a des domaines dans lesquels il sera plus facile de faire preuve de sobriété, ou bien où ça semblera tout simplement plus motivant. On peut être très sobre dans certains comportements et un peu moins dans d’autres. Évidemment, une partie des consommations doit diminuer pour arriver à quelque chose de soutenable globalement. Mais diminuer ne signifie pas réduire à zéro non plus.
La sobriété individuelle est aussi un cheminement progressif. Il s’articulerait autour de quatre étapes : savoir – vouloir – faire – pouvoir faire[14].
Il est donc important que des alternatives existent pour les personnes qui veulent adopter ces pratiques. Et, pourquoi pas, que cela fasse tache d’huile et que de plus en plus de personnes perçoivent les bénéfices d’agir différemment.
Voici quelques exemples.
En matière de chauffage le projet Slowheat (chauffer les corps plutôt que les briques) a montré des pratiques intéressantes : on peut vivre correctement à des températures plus basses que celles généralement pratiquées (15 à 18 °C plutôt que 19 à 21 °C).
Pour cela, il faut adapter certaines pratiques[15] : mieux se vêtir à l’intérieur, s’habituer, aérer suffisamment, prévoir des éléments chauffants de petite puissance qui permettent d’apporter de la chaleur de manière localisée (couverture chauffante ou petit panneau radiant par exemple).
Des parents sont convaincus que laisser leurs enfants aller à l’école à pied ou à vélo offre un tas d’avantages : organisation, apprentissage de l’autonomie, moins de voitures à proximité de l’école…
Mais ce n’est pas évident de laisser son bambin au milieu de la circulation. Si un pédibus ou un vélobus est organisé au niveau de l’école, la situation change du tout au tout : la sécurité est assurée, le projet devient collectif.
Pour beaucoup les vacances se font en voiture ou en avion, c’est généralement pratique et économique. Mais on peut aussi apprécier une forme de lenteur pendant ses vacances ou avoir envie de prendre un moyen de transport moins polluant. Les trains de nuit commencent à revenir en Belgique et les voyages à vélo font de plus en plus d’adeptes.
L’habitat léger est une autre forme de sobriété : les espaces de vie sont réduits. Ça veut dire moins de possibilité d’accumuler des objets, moins de besoins en chauffage…
> Voir : Pourquoi choisir de vivre dans un habitat léger ?
Diminuer la consommation de viande offre de multiples bénéfices pour la santé et l’environnement. Dans un scénario établi par les scientifiques, pour atteindre la neutralité carbone en France en 2050, il faudrait diviser la consommation de viande par trois[16]. Ce n’est pas zéro.
> Lire aussi : Manger moins de viande : par où commencer ?
La fabrication des objets nécessite des ressources, de l’énergie, des matières… On veille donc à prolonger la vie des objets : on les entretient bien, on les répare si nécessaire. La vente en seconde main et le recyclage n’arrive qu’en options finales.
> Lire aussi : Action climat : garder plus longtemps ses appareils et objets.
À l’inverse de l’hyper-consommation de vêtements, la slow fashion mise sur la sobriété pour s’habiller de façon durable.
> Voir : Un dressing écologique en 5 étapes.
[1] Baromètre 2022 du commerce équitable, Enabel.
[2] Baromètre de la consommation responsable 2021, ADEME-Greenflex.
[3] Le mot sobriété (sufficiency en anglais) apparaît pour la première fois dans le troisième volet du dernier rapport du GIEC consacré à l’atténuation, c’est-à-dire la diminution d’émissions de gaz à effet de serre. Une synthèse vulgarisée en français est proposée par The Shift Project.
[5] Baromètre de la consommation responsable 2021, ADEME-Greenflex.
[6] « La sobriété : une aspiration croissante, pas encore un projet de société » dans ADEME Stratégie, 2021.
[7] Negawatt considère depuis longtemps que la sobriété est la base de la transition énergétique, en combinaison avec l’efficacité et les énergies renouvelables. Elle propose un résumé de 12 pages sur la sobriété.
[8] Voir sur le site de l'AWAC. Il se base sur cinq principes directeurs parmi lesquels « Créer un contexte favorable au large développement et au soutien des alternatives durables dans tous les domaines de la société. ».
[9] 6e rapport, 2022. Voir le résumé pour les décideurs (en angais) ou la synthèse vulgarisée en français par The Shift Project.
[11] La bougie est un moyen de s’éclairer particulièrement inefficace, dangereux et coûteux. Si on voulait éclairer une pièce avec le même nombre de lumens qu’avec des LED, il faudrait utiliser des dizaines de bougies, qu’il faudrait remplacer régulièrement.
[12] Voir SPF Mobilité
[13] « Penser la sobriété matérielle », ADEME, 2020.
[14] « Comment consommer avec sobriété », Valérie Guillard, 2021.
[15] Attention, une des conditions pour participer au projet était d’avoir un logement sans problème d’humidité (car, dans ce cas, baisser la température peut aggraver ce problème).
[16] Scénario « Génération frugale » dans l’étude « Cinq visions de l’alimentation en France vers la neutralité carbone en 2050 », 2022.
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