Zone 30, rue scolaire, zone partagée... Ces mesures visent à réduire la vitesse des voitures en ville. À la clé : un centre convivial, plus sûr, moins pollué. Détails.
Des villes plus sûres et agréables, où il fait bon circuler à pied sur de larges rues bordées d’arbres, où l’on peut papoter avec ses voisins sans crier par-dessus le bruit du trafic, où l’on ne craint plus de laisser les enfants se rendre au parc ou à l’école à vélo… Ça fait rêver, non ?
Pour atteindre cet objectif, de plus en plus de centres-villes décident de ralentir le trafic automobile. On voit fleurir des zones 30 et même des « Villes 30 » (où 80 % des routes sont limitées à 30 km/h). On pense bien sûr à la Région bruxelloise, mais il y a aussi des villes comme Bordeaux et Paris ou encore tout un pays comme l’Espagne. En Suisse, près de 40 % de la population vit dans une zone 30.
Cela ne signifie pas la fin de la voiture ou même la guerre contre la voiture, celle-ci conserve des atouts pour certains types de déplacements mais doit être utilisée avec parcimonie.
On fait le tour des avantages de la réduction de la vitesse des voitures en ville.
Sommaire :
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Améliorer la sécurité est la première raison de réduire la vitesse des voitures en ville.
Dans une agglomération, il y a de nombreux usagers qui doivent pouvoir se déplacer en toute sécurité. Or, la vitesse augmente le risque et la gravité des accidents de manière dramatique :
140 pays ont signé la Déclaration de Stockholm[3] en 2020, à l’issue de la 3e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière. Parmi les décisions figure la limitation de la vitesse à 30 km/h dans les zones empruntées conjointement par les usagers de la route vulnérables et les véhicules, sauf si de solides données factuelles démontrent que des vitesses supérieures sont sûres. La déclaration indique « Les mesures prises pour réduire la vitesse en général auront un impact positif sur la qualité de l’air et le changement climatique tout en étant essentielles à la diminution du nombre de morts et de blessés sur les routes. »
Pour diminuer les accidents de la route, le Parlement européen recommande également la limitation par défaut à 30 km/h là où le nombre de piétons et de cyclistes est élevé[4].
Depuis janvier 2021, toute la Région bruxelloise est devenue une zone 30 (hormis quelques grands axes). De quoi avoir un peu de recul sur cette mesure, dont les conséquences sont très positves[5] :
On constate en parallèle que les temps de trajet n’ont pas augmenté. Rouler moins vite ne signifie pas arriver plus tard car la vitesse moyenne en ville était déjà bien inférieure à 30 km/h à cause des feux de circulation, des bouchons…
Plus largement, une analyse[7] de dix études indépendantes portant sur les zones ou limitations à 30 km/h (ou 20 mph) a conclu que ce mesures sont efficaces pour réduire le nombre d’accidents et de blessures, la vitesse et le volume du trafic.
Le fait de généraliser la zone 30 à l’échelle d’une ville ou d’un village apporte plus de clarté. Il existe parfois déjà une série de tronçons en zone 30 mais les automobilistes ne s’en rendent pas toujours compte. Ils roulent trop vite « de bonne foi », juste parce qu’un panneau leur a échappé. En généralisant la zone 30, on inverse le raisonnement : c’est 30 km/h partout, sauf là où il est spécifié autre chose.
L’Europe ambitionne d’atteindre zéro mort sur les routes en 2050[8]. Pour améliorer le respect des limitations de vitesse, elle va notamment généraliser l’usage de l’AIV (pour « Adaptation Intelligente de la Vitesse »)[9]. Ce système devra équiper les nouveaux modèles de voitures partout en Europe dès juillet 2024.
L’AIV est un système qui lit les panneaux de limitation de vitesse et utilise les données de trafic en temps réel pour avertir le conducteur (alerte sonore, voyant lumineux) s’il roule trop vite. L’AIV peut aussi réduire la puissance du moteur afin de ralentir la voiture lorsque la vitesse autorisée est dépassée (mais il ne peut pas provoquer un freinage). Il sera activé par défaut à chaque démarrage mais pourra être désactivé par le conducteur.
Selon la Commission européenne, l'AIV permettra de réduire de 30 % le nombre d'accidents de la route.
1510 enfants ont été victimes d’un accident sur le chemin de l’école en Belgique en 2020, année pourtant caractérisée par des périodes de confinement. Cela représente 12 enfants par jour d’école[10] ! C’est beaucoup trop et il est essentiel de veiller à assurer leur sécurité.
Depuis 2005, les abords de toutes les écoles belges sont placés en zone 30. Cette mesure amène effectivement une réduction de la vitesse mais pas une diminution du trafic. Dans ces zones 30 proprement dites, les accidents sont limités. Mais on constate que dans un rayon de 300 m autour des écoles, lors des trajets domicile-école, le nombre d’enfants blessés ou tués est important.[11]
Les zones 30 ne règlent pas non plus le problème du stationnement sauvage, les parents automobilistes voulant souvent déposer leurs enfants au plus près de l’entrée de l’école.
Malgré cela, c’est important de promouvoir une mobilité douce et d’encourager les enfants à se rendre de manière autonome à l’école (développement de l’autonomie, perception dans l’espace, exercice physique…). Augmenter la sécurité autour des écoles ouvre davantage de possibilités aux modes actifs : marche, vélo, trottinettes.
Il existe de plus en plus de modèles de vélos (électriques ou non) et d’accessoires qui permettent de transporter confortablement plusieurs enfants : longtail, remorques, vélos cargos, sièges enfants…
> Voir aussi nos astuces pour transporter les plus jeunes : 9 freins au vélo et nos conseils pour les surmonter.
Des actions de sensibilisation comme « Emile le serpent mobile » permettent d’augmenter la proportion de déplacements à pied ou à vélo sur le chemin de l’école. Mis en place par l'asbl Empreintes, ce projet est organisé en trois temps : un diagnostic pour évaluer la répartition initiale des modes de déplacement, deux semaines de défi pendant lesquelles sont testées des solutions alternatives et une phase de consolidation pour pérenniser les bonnes habitudes.
La Wallonie propose aussi des outils pour mettre en place un pédibus et/ou un vélobus. Il s’agit d’un ramassage scolaire encadré par un adulte pour se rendre ou revenir de l’école à pied ou à vélo, avec un trajet sécurisé et des horaires précis. Cela tourne autour de 15 à 20 minutes à pied ou 5 km à vélo. Même si cela peut être plus long, c’est tout bénéfices :
Deux chouettes vidéos pour découvrir :
Pour aller plus loin, le concept des rues scolaires est apparu en Flandre et à Bruxelles. Il s’agit de fermer des tronçons de rue(s) autour de l’école le matin et le soir, voire toute la journée, pour rendre les alentours de l’école plus sûrs.
Bien entendu, cela ne s’improvise pas : il faut tenir compte de la circulation des riverains, éviter de reporter les nuisances un peu plus loin (et donc avoir des possibilités de stationnement), etc. Cela demande également une grande implication des parents et de l’école pour avoir une présence physique à l’entrée de ces zones afin d'aiguiller les automobilistes.
Les rues scolaires sont entrées dans le code de la route en 2018 et on peut espérer qu’elles fleurissent également en Wallonie là où c’est possible.
Côté pollution, c’est la bataille entre les études… et la réalité :
La ville de Berlin a étudié, dans cinq rues très fréquentées, l’impact de la limitation à 30 km/h sur la qualité de l’air[15]. Elle a observé une diminution de 10 % des émissions de NO2 dues au trafic automobile (cela représente jusqu’à 4 µg/m³ en moins).
Une ville où l’on roule moins vite est aussi une ville où il y a moins de pollution sonore. Les nuisances sonores dues au trafic routier ont diminué de moitié à Bruxelles depuis l’instauration de la zone 30 généralisée. On y constate une baisse des niveaux de bruit allant de 1,5 à 4,8 dB [16]. Or, une diminution de 3 dB correspond à diviser le niveau sonore par deux. Bien plus agréable pour les habitants !
Réduire la vitesse en ville est un élément clé d’une politique de mobilité durable. Cela permet d’adopter les modes actifs (marche et vélo principalement) de manière plus sécurisée et aussi de libérer de l’espace pour des aménagements plus conviviaux.
Après des années de tout à la voiture (autoroutes urbaines, parkings à ciel ouvert, avantages de toutes sortes pour les automobilistes…), on en vient progressivement à un partage plus équilibré de la ville. L’espace y est une denrée rare, autant l’utiliser de manière efficace.
À Grenoble, après 3 ans de ralentissement de la vitesse des voitures, la métropole a constaté une baisse du trafic de 20 % pour les poids lourds et de 9 % pour les véhicules légers[17]. Un trafic apaisé ouvre des possibilités d’utilisation de l’espace public beaucoup plus diversifiées et agréables.
Exemple à Paris avec un large trottoir pour les piétons et une terrasse conviviale sur un espace auparavant occupé par les voitures. Photo : CEREMA.
La transformation de places, dans un premier temps dédiées au parking en espaces conviviaux est un bon exemple de reconquête de l’espace public.
À Bruxelles, le plan de mobilité Good Move prévoit des quartiers apaisés où la Région et les communes se coordonnent pour offrir des espaces publics de qualité, avec de la végétalisation, des terrasses, des lieux de rencontre et des plaines de jeux.
Lors du déconfinement au printemps 2020, la marche et le vélo ont connu un énorme succès, vu que les transports en commun étaient limités. On a vu naître des aménagements temporaires[18] (coronapistes, extensions de terrasses), réalisés avec peu de frais et dans des délais très courts. Certains ont pu être pérennisés, offrant davantage d’espace pour les cyclistes et les piétons.
Pour aller plus loin, certaines villes n’hésitent plus à créer un piétonnier ou à l’étendre. Elles écartent ainsi les véhicules motorisés des zones centrales. Évidemment, cela ne s’improvise pas et il faut tenir compte des différents usagers de la ville et veiller à ne pas simplement déplacer les nuisances. C’est un processus qui gagne à être mené en concertation avec toutes les parties prenantes : habitants, commerçants, travailleurs, passants, clients, personnes à mobilité réduite, personnes âgées…
Ainsi, à Namur, le centre est devenu une « zone partagée » (ou zone de rencontre) au printemps 2020[19]. La vitesse y est limitée à 20 km/h (pour les voitures comme pour les vélos) et les piétons peuvent se déplacer librement sur toute la chaussée (tout en restant vigilants et sans entraver délibérément la circulation). La ville a aussi instauré ses premières rues cyclables sur des axes qui permettent de connecter les RAVeLs au centre : la vitesse y est limitée à 30 km/h et les voitures n’y ont pas le droit de dépasser les cyclistes. Ces mesures temporaires ont été prolongées vu leur succès[20].
En parallèle, la Ville de Namur a mis en place un panel citoyen pour formuler des propositions quant à l’extension du piétonnier[21]. La priorité a été mise sur la végétalisation. Plus de plantations, voilà encore un atout que permet la reconquête d’espace dans les centres urbains, avec des bénéfices sur le climat et la lutte contre les îlots de chaleur urbains.
> À propos des îlots de chaleur, lire aussi : Adaptation au changement climatique : comment se préparer ?
On entend souvent que la mise en place d’un piétonnier serait mauvais pour les commerce dans les centres. Or, une étude[22] indique que les commerçants surestiment souvent la part de leur clientèle qui se rend dans leur établissement en voiture. Une explication est que les automobilistes se plaignent davantage de la mobilité et des difficultés de stationnement, ce qui fausse la perception. C’est un peu la logique du « ceux qui se plaignent sont ceux que l’on entend le plus ». D’autre part, les commerçants eux-mêmes utilisent souvent la voiture.
Le même constat est observé en France : les villes avec des plateaux piétonnisés ont une plus grande attractivité commerciale.[23]
Presque tous les usagers de la ville sont piétons à un moment ou l’autre. Même les automobilistes, une fois leur voiture garée, circulent à pied pour rejoindre des amis, faire du shopping, aller au restaurant… On a tous à gagner à avoir des centres-villes plus apaisés, en particulier les habitants.
[1] Dingus et al, « Driver crash risk factors and prevalence evaluation using naturalistic driving data » (2016) cité par la Commission européenne dans Prochaines étapes de la campagne «Vision Zéro» : cadre politique de l’UE en matière de sécurité routière pour la décennie d’action 2021-2030 (2020).
[5] Bruxelles Mobilité - Bruxelles Ville 30 - un an après.
[6] Voir sur le site de Bruxelles Mobilité. Les calculs ont tenu compte du biais lié au confinement.
[7] “Go slow: an umbrella review of the effects of 20 mph zones and limits on health and health inequalities”, Cairns et al, 2014
[8] Voir la publication Prochaines étapes de la campagne « Vision Zéro » et infos sur le site du Parlement européen.
[9] En anglais : ISA pour Intelligent Speed Assistance, imposé partout en Europe - Règlement délégué (UE) 2021/1958
[10] D’après l’Institut Vias.
[11] D’après une étude de VIAS, en 2015, citée dans la CEMathèque d’avril 2019 consacrée à la mobilité scolaire.
[12] Émissions routières des polluants atmosphériques - Courbes et facteurs d’influence, Cerema, avril 2021
[13] Etude “Urban transport modelling - An investigation into the effects of urban traffic, speed limits and driving style on travel times fuel efficiency and CO2 and NOx emissions”, résumée sur rue-avenir.ch
[14] Les NOx sont des oxydes d’azote (NO et NO2). Ils ont des effect négatifs sur la santé et sur l’environnement. Le NO2 est irritant pour les voies respiratoires, en particulier les bronches. Les NOx nuisent aussi à la biodiversité et, de façon indirecte, au rendement des cultures. Infos sur wallonair.be.
[15] Détails sur www.berlin.de.
[16] En fonction de la période horaire considérée, de l’endroit, du type de trafic et du revêtement du sol. Voir Bruxelles Ville 30 - un an après, sur le site de Bruxelles Mobilité.
[17] Etude « Apaiser les circulations à une échelle métropolitaine ? Le Cerema évalue la démarche de Grenoble Alpes Métropole », juillet 2020
[18] Plus d’infos sur mobilite.wallonie.be.
[22] Sonecom et Espace Mobilités, « Étude de l’accessibilité des commerces dans la Région de Bruxelles-Capitale », 2011
[23] « Favoriser les piétons et les cyclistes met-il en péril le commerce du centre-ville ? », Ouest France, juin 2020