Le bisphénol A a été utilisé dans de nombreux emballages alimentaires. Il sera interdit dans tous les emballages alimentaires en Europe à partir de 2026[1].
C’est le résultat d’une réduction drastique des normes en vigueur pour réduire ce contaminant alimentaire.
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Comment une substance peut-elle passer de « commune » à « interdite » au fil du temps ? On retrace l’itinéraire du bisphénol A.
Sommaire :
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Le BPA, ou bisphénol A, est une molécule de synthèse utilisée pour fabriquer certains plastiques comme le polycarbonate ou des résines époxy. Pour résumer de façon simple, le polycarbonate et les résines époxy sont constituées de molécules de BPA liées entre elles[2].
On l’utilise depuis les années 60 comme matériau d’emballage[3]. Or, comme pour tous les matériaux en contact avec des aliments, il y a un phénomène de migration de certaines substances de l’emballage vers l’aliment[4]. Problème : le BPA est aussi un perturbateur endocrinien reconnu[5].
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Une des premières normes européennes date de 1984[6]. Elle établit une quantité de BPA à ne pas dépasser par jour de 0,05 mg (50 µg) de BPA par kilo de poids corporel et par jour. C’est ce qu’on appelle une DJT, une dose journalière tolérable[7]. Une personne de 70 kilos pouvait donc en absorber 3500 µg (70 kilos x 50 microgrammes) par jour « sans risque » pour la santé.
Enfin, en 1984.
L’EFSA, l’autorité européenne qui évalue et conseille en matière de sécurité alimentaire, a repris ce seuil en 2006 dans sa première évaluation[8]. C’est sur base de ce genre d’évaluations que la Commission européenne peut, par exemple, décider de limiter ou d’interdire une substance.
Deux ans plus tard, en 2008, le BPA fait la une : il serait dangereux pour les nourrissons quand il est utilisé dans des biberons en plastique[9]. On voit donc apparaître diverses interdictions du bisphénol A en Europe : interdit depuis 2010 au Danemark dans les contenants alimentaires pour enfants de moins de 3 ans, dans les biberons pour toute l’Europe en 2011, dans tous les contenants alimentaires en France en 2015 (soit 10 ans avant l’Europe), etc.
Quelques années plus tard, en 2015, l’EFSA revoit la dose journalière tolérable, qui passe de 50 à… 4 µg, soit 280 µg pour une personne de 70 kilos.
8 ans plus tard, en 2023, l’EFSA revoir encore la dose à la baisse et adopte une DJT de 0,0002 µg (soit 0,2 ng ou nanogramme). C’est-à-dire 0,014 µg par jour pour une personne de 70 kilos.
On est donc passé de 3500 µg à 0,014 entre 2006 et 2023. La dose autorisée a été divisée par 250 000 en 17 ans ![10]
Cette DJT étant très faible, cela a conduit l’Europe à interdire le BPA (et d’autres bisphénols dangereux) dans tous les produits en contact avec des aliments. L’interdiction sera progressive. Ainsi on pourra encore mettre sur le marché des objets à usage unique qui contiennent du BPA jusqu’en juillet 2026 (pour peu qu’ils respectent la législation précédente). Et on pourra même les remplir avec des aliments jusqu’en juillet 2027 et vendre ledit aliment jusqu’à épuisement des stocks. Pour les produits de la pêche les deadlines sont même de janvier 2028 et janvier 2029[11].
Il a donc fallu quelques dizaines d’années avant de bien connaître les effets du BPA et de prendre les mesures adéquates[12],[13].
Fin de l’histoire ? Probablement pas : le BPA fait partie d’une grande famille de molécules. À ce stade ne sont ou seront interdits que le BPA et le BPS[14]. D’autres bisphénols pourront continuer à être utilisés. Et rien ne permet d’affirmer que les alternatives seront sans danger[15].
Un parallèle pourrait être fait avec la façon dont les PFAS ont été encadrés dans l’alimentaire. On est passé d’une absence de norme spécifique à des restrictions de plus en plus importantes.
> Lire aussi : De nouveaux pas contre les PFAS.
Pour le BPA, comme pour d’autres substances dangereuses pour la santé, on détermine une dose que (par exemple) des rats et des souris peuvent consommer par jour sans développer d’effet sur la santé (« sans effet nocif »). On parle de NOAEL pour « No adverse effect level ».
De cette dose on applique un facteur arbitraire de sécurité censé tenir compte du fait que l’être humain n’est pas un rat, qu’on manque parfois d’études sur le sujet (on a plus de certitudes avec 15 études qui vont dans le même sens que si on n’a qu’une seule étude), etc. Ce facteur peut être 100, 500, 1000, 10 000…
On a donc une norme, une quantité d’une substance toxique, que l’on peut consommer tous les jours « sans risque ». C’est généralement exprimé en quantité de substance (en mg, µg, ng…) par kilo de poids corporel (d’une personne) par jour. On appelle ça une DJT (dose journalière tolérable).
Mais cette norme ne suffit pas. Elle pose une sorte de seuil à ne pas dépasser. Sur cette base, le législateur peut définir des maximums de substances à ne pas dépasser dans un emballage notamment.
Par exemple, pour le BPA :
La saga du bisphénol A rappelle que les normes et les législations évoluent, notamment au fur et à mesure que l’on connaît mieux les substances chimiques. Mais il en arrive souvent de nouvelles et il faut du temps pour en apprécier les effets. C’est pourquoi il est toujours utile d’appliquer un principe de précaution. Dans le doute, on diminue autant que possible son exposition – surtout pour les publics plus à risque comme les femmes enceintes et les jeunes enfants – et, quand elles existent, on préfère des alternatives sûres pour la santé et l’environnement.
[1] Il est déjà interdit dans tous les nouveaux emballages. Règlement 2024/3190 adopté en janvier 2025 (avec des interdictions effectives en 2026, 2028 et 2029).
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Polycarbonate ou https://www.inrs.fr/publications/bdd/plastiques/polymere.html?refINRS=PLASTIQUES_polymere_11 par exemple.
[4] Parce qu’il en reste après la fabrication, parce que tout ne s’est pas lié aux autres molécules, parce que ça s’abîme avec le temps, parce que certains aliments comme les aliments gras peuvent « sortir » le BPA du matériau…
[5] Le BPA a été synthétisé par un chimiste russe en 1891 et a été étudié dans les années 30 pour développer des... œstrogènes de synthèse. Des hormones, donc. Source : La Revue Médicale Suisse.
[6] Par le CSAH (Comité scientifique pour l’alimentation humaine). Source : Conseil Supérieur de la Santé.
[7] On parle parfois de DJA, dose journalière admissible. Il n’y a pas vraiment de différence, la DJA est dite admissible pour des substances que l’on a intentionnellement utilisées (additifs, pesticides…), la DJT (tolérable) est utilisée quand on parle de substances non ajoutées dans un but donné (glossaire européen).. Plus d’infos sur les valeurs de référence, voir l’ANSES.
[8] Bien que le CSAH ait abaissé sa norme à 10µg en 2002, mais l’EFSA a pris un facteur d’incertitude moins élevé.
[9] Mais on a retrouvé un article du journal Le Soir qui en parlait déjà en 2000.
[11] Règlement 2024/3190 adopté en janvier 2025. Un calendrier de mesures transitoires est prévu.. Calendrier très clair des dispositions transitoires sur le site du SPF Santé.
[12] Entretemps la fédération PlasticsEurope a maintenu, entre 2008 et 2023 un site dédié au BPA : http://www.bisphenol-a-europe.org/. Il est en maintenance depuis janvier 2023, soit peu de temps après la publication du draft de l’EFSA qui a conduit à une réduction drastique du BPA autorisé. La même fédération avait combattu en 2018 la décision de l’ECHA de considérer le BPA comme substance extrêmement préoccupante.
[13] Évolution des connaissances scientifiques, lobby intensifs des secteurs concernés, compromis raisonnable entre santé et économie… choisissez la ou les raisons qui vous semblent les plus pertinentes !
[14] Cet article de Que choisir résume bien la situation, ainsi que cet article de packaginglaw.com. Le BPS tout comme le BPA sont classés 1A ou 1B dans la liste des CMR (CMR : cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction). Plus de précisions également sur le site du SPF santé. Si les autres « bisphénols dangereux » sont également concernés par le règlement 2024/3190, les dérogations sont possibles mais soumises à approbation (article 5).
[15] Voir sur le site du Ministère Français de la Santé. Comme le souligne Que Choisir, on a encore retrouvé du bisphénol dans des contenants en 2023 en France, alors qu’il y était interdit depuis 2015.
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