En 2003, dans un rapport d’experts indépendants sur l’alimentation et les maladies chroniques, l’OMS et la FAO indiquent que « les glucides doivent satisfaire l’essentiel des besoins en énergie, soit 55 à 75% de l’apport journalier, et les sucres libres doivent rester en dessous de 10% »… En cette saison où les magazines féminins y vont de leur crédo anti-kilos, entre conseils diététiques judicieux et régimes farfelus, la tentation est grande de simplement remplacer le sucre par des édulcorants. Et si l’enfer était pavé de bonnes intentions ?

A l’origine était le sucre…

Issu de la betterave sucrière ou de la canne à sucre, le saccharose, ou encore sucrose, ordinairement connu sous le nom de «sucre», est la substance sucrée la plus communément ajoutée à notre alimentation. Pourtant, avec ses 4 calories au gramme, le sucre n’a plus bonne presse : non seulement cariogène, il est aussi rendu responsable de l’épidémie d’obésité et de diabète de type II qui ravage l’Occident. Depuis longtemps déjà, les diététiciens conseillent de consommer plus de fruits, légumes, légumineuses, oléagineux, céréales, etc. et de réduire les apports sucrés de type confiserie, pâtisserie, sans oublier les sucres cachés dans les mets salés d’origine industrielle, du saucisson au fromage en passant par les plats préparés, potages, sauces et autres snacks…

Si certains consommateurs adoptent volontiers cette hygiène de vie, beaucoup trouvent l’idée peu séduisante. A vrai dire, depuis notre plus tendre enfance, le goût sucré est associé à quelque chose de doux, bon, rassurant. L’industrie agro-alimentaire l’a bien compris, qui joue sur deux tableaux. D’une part, malgré les recommandations des autorités sanitaires, les produits sucrés envahissent toujours plus largement les rayons des magasins. D’autre part, la chasse au grand méchant sucre est ouverte toute l’année : la déferlante édulcorante crée le marché du « light », « sans sucre (ajouté) », « allégé en sucre », « 0 calorie »… et répond au désir du consommateur de pouvoir continuer à se gaver de produits sucrés, la culpabilité et les calories en moins ! Coup double donc, marchés colossaux et plantureux bénéfices sont au rendez-vous, bien soutenus en cela par la publicité, en particulier celle adressée aux enfants, prescripteurs d’achat d’aujourd’hui et consommateurs (captifs ?) de demain.

En progression depuis les années 80, le cheminement des édulcorants de l’industrie à la bouche est plutôt chahuté : études scientifiques contradictoires, allégations, rumeurs, déclarations des autorités sanitaires, contre-expertises, etc. De nombreuses polémiques affectent leur parcours. Le consommateur est parfois bien en peine de s’y retrouver, d’autant que les « faux sucres » avancent souvent masqués dans les ingrédients. Par ailleurs, sont-ils aussi utiles qu’espéré, voire totalement inoffensifs ?

Qu’est qu’un édulcorant ?

Les édulcorants sont des substances au goût sucré qui apportent moins de calories que le sucre. En Europe, ils sont repris dans la liste des 300 additifs autorisés pour la consommation alimentaire et sont régis par la directive européenne 94/35/CE du 30 juin 1994 et ses amendements successifs. La directive indique dans quels produits alimentaires et à quelle dose maximale trouver quels édulcorants. Ils se voient attribuer, comme les autres additifs alimentaires, une référence sous la forme E suivi d’un numéro.

La directive précise aussi la signification de deux expressions communément trouvées sur les emballages alimentaires :

  • «sans sucres ajoutés»: sans aucune adjonction de monosaccharides ou de disaccharides ni de quelque denrée que ce soit utilisée pour son pouvoir édulcorant,
  • «à valeur énergétique réduite»: à valeur énergétique réduite d’au moins 30 % par rapport à la denrée d’origine ou à un produit similaire.

On notera que cette directive ne s’applique pas aux denrées qui ont des propriétés édulcorantes, comme le sucre, le miel, les sirops (érable, agave, etc.).

Intenses …

Les édulcorants de synthèse sont aussi appelés artificiels ou intenses, en référence à leur haut pouvoir sucrant : saccharine, cyclamate, aspartame, acésulfame-K et néotame sont parmi les plus connus.

Ils sont disponibles comme édulcorants de table, en poudre, granulés, comprimés ou liquide. Nous les consommons aussi, parfois à notre insu, dans de nombreux produits alimentaires industriels - desserts, boissons non alcoolisées, confiseries, snacks salés, cidres, bières, sauces, moutarde, fruits en boîte, confitures, conserves de poisson, produits de boulangerie, substituts de repas, préparations de régime, mais aussi dans des médicaments, dentifrices, bains de bouche, compléments alimentaires, etc. A titre d’exemple, l’aspartame (E951) est utilisé dans près de 6000 produits de consommation courante...

Certains d’entre eux sont connus depuis très longtemps (la saccharine en 1879, le cyclamate en 1937, l’aspartame et l’acésulfame K dans les années 60, etc.). Cependant, entre la découverte et l’utilisation dans la chaîne alimentaire, de nombreuses années peuvent s’écouler, émaillées de recherches, d’autorisations, de polémiques, parfois d’interdiction et de retraits, temporaires ou non, voire de batailles juridiques et de controverses sanglantes. C’est que les marchés liés aux produits light sont monumentaux, synonymes de juteux bénéfices pour la firme qui parviendra à occuper le marché des produits allégés en sucre que les consommateurs considèrent comme « LA » solution pour garder la ligne, ménager ses dents ou pour faire face à des maladies du métabolisme telles que le diabète ou le surpoids. Cependant, tous les « faux sucres » n’ont pas les mêmes propriétés, ne peuvent pas nécessairement subir d’échauffement, n’ont pas un goût neutre, etc. Par ailleurs, le doute reste permis quant à leur totale innocuité. En effet, les études scientifiques se contredisent constamment et la question de l’indépendance des recherches est régulièrement posée. Il semble raisonnable dès lors d’appliquer le principe de précaution dans l’attente de preuves irréfutables d’une innocuité absolue, même si les autorités sanitaires indiquent qu’aux doses journalières acceptées (DJA), les édulcorants n’auraient pas d’effet néfaste sur la santé.

Les polyols

Maltitol, sorbitol, isomalt, xylitol, lactitol, etc. sont des dérivés des sucres (maltose, glucose, fructose, …). Leur principal intérêt ne réside pas tant dans leur pouvoir sucrant, très faible – en moyenne 0,5 à 1 fois celui du sucre, pour la moitié moins de calories – que dans leur propriété non cariogène. Ils font partie des édulcorants dits de charge : leur masse quasi équivalente à celle du sucre en fait des ingrédients privilégiés des confiseries et pâtisseries, avec une mise en garde relative à leur effet laxatif en cas de surconsommation. Polyol le plus sucrant, le xylitol renforce les saveurs mentholées et se retrouve du coup dans les bonbons et chewing-gum sans sucre.

Dans la catégorie espoirs …

Le tagatose, ni édulcorant intense, ni polyol, est un sucre naturel, produit à partir du lactose. Initialement destiné aux patients souffrant de pathologies intestinales, ses qualités sont nombreuses : non cariogène, peu calorique (1,5 calorie par gramme), non laxatif, supporté par les intolérants au lactose, résistant à la chaleur, il a aussi des effet limités sur la glycémie et un goût comparable à celui du sucre. Son inconvénient actuel reste son coût, encore assez élevé.

Très médiatisée, la stévia est une plante verte d’Amérique du Sud dont sont extraits les glycosides de stéviol, jusqu’à 400 fois plus sucrants que le sucre, les calories en moins. En 2010, l’EFSA a évalué positivement les glycosides de stéviol (stévioside et rebaudioside) et la directive sur les édulcorants devrait bientôt autoriser leur usage. Toutefois, le rébaudioside A est déjà commercialisé comme édulcorant en France et on peut aussi se procurer de la stévia en poudre comme complément alimentaire en Belgique, de même que la plante en pot, dont les feuilles ont un goût sucré et un arrière-goût de réglisse, pas toujours facile à assumer dans le café, il est vrai ;-).

Le light… un leurre ?

Bien loin devant leur pouvoir non cariogène, c’est leur propriété sucrante pour moins, voire peu ou pas, de calories qui fait l’attrait des édulcorants.

La motivation « ligne », voire régime est donc ce qui anime majoritairement le consommateur. Certains vont même jusqu’à trouver le goût des produits édulcorés meilleur tandis que d’autres évoquent une sensation plus désaltérante. Les diabétiques se voient aussi conseiller des produits édulcorés en remplacement des produits sucrés, dans la mesure où ils ne provoquent pas de hausse de la glycémie. Toutefois, obésité et diabète, du reste liés, ne sont pas le seul fait d’une surconsommation de sucre mais également d’un déséquilibre de la nutrition et d’apports trop élevés en graisses. On ne s’étonnera donc pas que les organismes de santé recommandent un recours très modéré aux produits édulcorés pour leur préférer des produits frais, nature, et un bon équilibre de la pyramide alimentaire où les sucreries ne constituent qu’une part infime et, surtout, exceptionnelle. A ce propos, il semble que la consommation de produits sucrés ou édulcorés entretienne une dépendance croissante au goût sucré. Des études menées par le CNRS (1) ont démontré que des rats, dont le cerveau fonctionne de façon très comparable au cerveau humain en matière de « récepteurs sucre », développaient une addiction plus forte aux édulcorants intenses qu’à la cocaïne ! Les chercheurs concluent que le potentiel addictif du goût sucré est donc plus élevé qu’aux drogues d’abus dites dures. Par ailleurs, des chercheurs américains (2) ont démontré que les édulcorants perturbent la capacité naturelle du corps à évaluer les calories absorbées et à réguler la prise de nourriture en regard de la satiété, avec pour conséquence ultime une prise de poids alors que c’est justement ce que l’on voulait éviter !

Finalement, sucre ou édulcorant ?

Les édulcorants ne fonctionnement pas tous de la même manière. Les édulcorants intenses remplacent le sucre au niveau de la sensation sucrée mais n’en ont pas les propriétés physico-chimiques. Préparer un gâteau en remplaçant simplement le sucre par un édulcorant intense sera impossible pour la ménagère. De plus, certains édulcorants perdent leur pouvoir sucrant à la chaleur. Pour tendre vers la texture adéquate et le goût attendu, il faudra soit choisir des recettes adaptées aux édulcorants - le résultat sera moins calorique mais pas nécessairement satisfaisant ! - soit remplacer partiellement le sucre par de l’édulcorant, pour un résultat à peine moins calorique mais au goût parfois altéré. Pour pallier ce désavantage, l’industrie met à notre disposition des « sucres allégés », où des édulcorants sont mélangés à du vrai sucre… mais là aussi, glycémie et calories en hausse sont au rendez-vous.

Dans ses recettes, l’industrie agro-alimentaire combine les édulcorants et recourt à des additifs compensatoires : émulsifiants, stabilisants, agents de texture, gélifiants, épaississants, exhausteurs de goût, arômes… et sel. En effet, le sel a la propriété de renforcer les goûts sucrés et les arômes mais aussi de masquer l’amertume des ingrédients, comme certains édulcorants… En conséquence, le bilan calorique du produits light est parfois équivalent voire plus lourd que celui du produit « normal ». Le bilan santé, quant à lui, se voit plombé par la quantité d’additifs et de sel utilisés !

On ne peut donc que recommander la modération et une nourriture fraîche et saine. A titre exceptionnel, un édulcorant de table peut remplacer le sucre et il revient à chacun de choisir celui qui lui convient le mieux, avec une préférence pour les molécules d’origine naturelle. Les produits alimentaires industriels doivent rester exceptionnels dans nos menus. Les aliments édulcorés, boissons light comprises, restent une fausse bonne idée et sont, sinon à proscrire, du moins à consommer avec la plus grande modération, après scrupuleux décryptage de la liste des ingrédients et de l’apport calorique !

 

(1) Intense Sweetness Surpasses Cocaine Reward, Magalie Lenoir., Fuschia Serre., Lauriane Cantin, Serge H. Ahmed, University Bordeaux, CNRS, UMR 5227, Bordeaux, France
(2) "A Role for Sweet Taste: Calorie Predictive Relations in Energy Regulation by Rats."
Susan E. Swithers and Terry L. Davidson. Behavioral Neuroscience, Vol. 122, No. 1, February 2008.

Dernière mise à jour
10 mai 2011
Mots-clés
Rédigé par
Sylvie Wallez

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