L'alimentation approvisionne l'organisme en substances nutritives et le lien entre certains composants alimentaires et la santé est clairement établi. De plus en plus, la recherche nutritionnelle s'oriente vers l'identification de composants biologiquement actifs susceptibles d'améliorer notre santé ou de réduire le risque de maladies. Ces composants, dont l'effet physiologique dépasse le seul apport de nutriments, viennent alors enrichir des aliments, pour créer des aliments fonctionnels, également appelés alicaments (1), pharmafood ou encore nutraceutiques. Ce concept est né au Japon dans les années 80, pour maintenir, sans surcoût pour la sécurité sociale, la qualité de vie de la population dont la longévité augmentait.
Chez nous, l'idée d'influer sur la santé par la manipulation de nos aliments n'est pas neuve. Le secteur agro-alimentaire l'a bien compris, qui nous inonde d'aliments « allégés » ou au contraire « enrichis » vantant leur teneur en nutriments essentiels, voire leur capacité à réduire des risques liés à des maladies ! Fleurissent en pagaille des slogans comme boisson aux super-fruits, eau riche en oligo-éléments, yaourt 0% au bifidus (actif) pour une flore intestinale équilibrée, céréales enrichies en fibres pour un meilleur transit, jus de fruit multivitaminé, smoothie antioxydant, margarine hypocholestérolémiante, oeufs aux omégas 3...
Pour les besoins de cet article, des consommateurs ont été sondés en regard des produits précités. Les questions portaient sur la connaissance des aliments « santé » achetés, leur usage, leur efficacité potentielle. Conclusion, la confusion règne ! Pour beaucoup, l'aliment assorti d'allégations nutritionnelles est paré de toutes les vertus, à la limite du miracle. Certains émettent des doutes quant à leur efficacité mais les achètent par réflexe anxiogène. D'autres, enfin, n'y voient que marketing et surcoût inutile pour le consommateur. Une seule certitude : malgré une part du budget des ménages réduite à moins de 10% pour l'alimentation, près de 25% des produits alimentaires sont vendus avec un argument santé (2) et le marché devrait croître de quelque 24,6% d'ici 2015 (3). Mais peut-on dire tout et n'importe quoi pour vendre? Que valent les allégations nutritionnelles et de santé apposées sur les produits ?
En Europe, le règlement (CE) 1924/2006 du Parlement européen fixe le cadre des allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (4) et l'EFSA, Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, veille au respect de la réglementation.
D'une manière générale, les allégations nutritionnelles et de santé ne peuvent être inexactes, ambiguës, trompeuses ou susciter le doute. Les denrées alimentaires qui les portent comportent une déclaration nutritionnelle obligatoire (5) indiquant la valeur énergétique et la quantité de graisses, de glucides, de sucres, de protéines et de sel.
Enfin, la Commission européenne a établi une liste des allégations nutritionnelles (6) et des allégations de santé (7), assorties de leurs conditions d'utilisation.
Une allégation nutritionnelle est toute indication selon laquelle une denrée alimentaire possèderait des propriétés nutritionnelles bénéfiques particulières de par
Si l'allégation porte sur une réduction de la valeur énergétique ou de la teneur en nutriments, elle doit correspondre à une réduction d'au moins 30 % (25 % pour le sel) par rapport à un produit similaire.
Les mentions courantes sont : « hypocalorique » ou au contraire « énergétique » ; 0% (de matière grasse, de sucre ajouté) ; « riche en... » ou « source naturelle de... » (fibres, vitamines, minéraux, acides gras essentiels, etc.), ou au contraire « sans gluten », « sans sel », etc.
L'allégation de santé est toute indication selon laquelle il existerait une relation entre, d'une part, une denrée alimentaire ou l'un de ses composants et, d'autre part, la santé. Des mentions comme « riche en calcium pour des os solides », « enrichi en fibres pour faciliter le transit intestinal » sont correctes à condition que la part des éléments vantés soit significative.
Le fabricant doit aussi indiquer :
Cas particulier de l'allégation de santé, l' « allégation relative à la réduction d'un risque de maladie » affirme, suggère ou implique que la consommation d'une denrée alimentaire ou de l'un de ses composants réduit sensiblement un facteur de risque de développement d'une maladie humaine (par ex. : « réduit le taux de cholestérol »).
Tout fabricant désireux d'apposer une allégation de santé sur un produit se doit de la soumettre à l'approbation de l'EFSA. Les allégations de santé et celles relatives à la réduction d'un risque de maladie doivent être étayées par des études scientifiques probantes. Le marché est particulièrement prometteur et l'EFSA reçoit des milliers de demandes d'approbation, dont la plupart sont refusées. Dans ce cas, la mention incriminée doit être retirée dans les 6 mois; la communication publicitaire sur ce produit ne peut plus se faire sur son intérêt santé. Pendant ce temps, la vente continue...
Au sens strict, un alicament, bien qu'il ne soit pas un médicament, est présenté comme ayant des effets bénéfiques sur la santé en général, et sur certaines pathologies en particulier (réduction du taux de cholestérol, du risque de maladies cardio-vasculaires, etc.). Problème : il n'y a pas de définition officielle de l'alicament. S'il peut réduire des risques de maladie, il peut aussi avoir des effets néfastes s'il est consommé sans discernement. Certes, des précautions d'usage sont indiquées, en petits caractères, au dos de l'emballage mais qui les lit ? D'autant qu'il n'est pas courant d'en trouver sur un produit alimentaire et que celui-ci est vendu parmi d'autres, dans le même rayon, sans différenciation.
Une allégation nutritionnelle conforme à la légalité peut cependant être en porte-à-faux avec la santé. Prenons le cas d'une huile pour friture qui affiche : « riche en vitamine E, et acides gras insaturés. Source d'acides gras omégas 3 essentiels ». Ces allégations nutritionnelles, aussi avérées soient-elles, laissent songeur : la vitamine E et les omégas 3 résistent mal à la chaleur ; ennuyeux pour une huile de friture qui se vante d'en contenir. Par ailleurs, n'est-il pas fallacieux de faire un lien implicite entre la santé et une huile de friture ? D'aucuns se sentiront ainsi autorisés à favoriser l'usage de cette huile aux composants « bons pour la santé » et donc, ce mode de cuisson. De l'avis des autorités de santé, la friture n'est pourtant pas recommandée!
La publicité prend parfois bien des libertés. Heureusement, les organisations de consommateurs veillent aussi au grain. Ainsi, sous l'action du CLCV, association de consommateurs française, Danone a dû retirer un spot publicitaire pour Actimel qui induisait qu'un enfant pouvait sans risque consommer un aliment souillé par des bactéries vu qu'il était immunisé par une boisson aux probiotiques.
Cela n'empêche cependant pas que des produits arborant des allégations nutritionnelles sur leurs emballages jouent malgré tout sur l'évocation d'une incidence positive sur la santé en citant par exemple un partenariat avec la Ligue cardiologique belge ou en soutenant l'Institut Pasteur! Méfions-nous aussi de la publicité : il n'y a pas d'aliment miracle mais souvent de vagues promesses où le message commercial exagère la réalité pour vendre. Les effets réels sont toujours moindres que ce qui est vanté ou que ce qu'on a pu démontrer dans les études.
Par ailleurs, que dire du saucisson aux omégas 3 et de confiseries comme des barres chocolatées « riches en calcium » mais aussi en sucre, sel et acides gras trans ou encore de cette margarine qui suggère protéger votre coeur mais affiche de l'huile palme dans sa composition?
Enfin, pour ajouter à la confusion, le label privé « Mon Choix » prétend marquer, sous caution scientifique, des produits industriels (dont snacks et sauces) prétendument plus sains, sur la base de critères « moins de sel, de sucre, de gras » et « plus de fibres » - mais comportant huile de palme, édulcorants ou additifs. Passage en force de l'industrie agro-alimentaire, qui supporte décidément mal les contraintes imposées sur les allégations.
L'intérêt du consommateur pour le bien-être et la santé est indéniable. Personne n'est à l'abri d'un accident de parcours, d'une dégradation de son métabolisme et de sa santé. Cependant, la consommation d'aliments fonctionnels ayant pour but d'améliorer la santé ou de réduire un risque de maladie ne devrait pas relever de la seule automédication. Ainsi, consommer une margarine enrichie en stérols végétaux n'a de sens que pour la personne qui doit faire baisser un taux de cholestérol LDL excessif, pas pour toute la famille, ni à titre préventif. Un suivi médical sera nécessaire pour équilibrer l'apport de graisses et une consommation accrue d'aliments riches en vitamine E et en béta-carotène, dont l'assimilation est freinée par les phytostérols. Après un bilan nutrionnel il peut être conseillé par le médecin tel type d'aliment, tel complément alimentaire et, plus rarement, tel type d'alicament (surtout pour le cholestérol) et c'est uniquement dans ce cadre que cela a du sens.
Pour ceux qui désirent s'assurer de consommer tous les nutriments nécessaires, la seule voie est-elle de s'inféoder toujours plus à l'agro-alimentaire et ses préfabriqués? Contrairement aux aliments frais dans lesquels on peut les trouver, les vitamines et minéraux ajoutés sont généralement des substances synthétisées et isolées ? Quelles sont leurs interactions et leur biodisponibilité ? Les rayons de la grande distribution deviendraient-ils des officines du manger sain ? A les entendre, les 5 plus grands groupes agroalimentaires mondiaux, que sont Nestlé, Unilever, PepsiCo, Kraftfood et Danone, joueraient un rôle de pourfendeurs de la malboufffe et d'acteurs de santé publique. C'est tenter de faire oublier un peu vite qu'ils sont les premiers responsables de l'appauvrissement de notre alimentation et de ses effets délétères sur notre santé.
Nos sociétés occidentales n'ont jamais eu autant de possibilités de manger bien et en suffisance. Pourtant, l'espérance de vie des nouvelles générations pourrait bien être inférieure à celle de leurs parents ! L'obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires et des cancers liés à une alimentation trop riche, trop raffinée, globalement déséquilibrée et au manque d'exercice physique plombent le bilan occidental.
Par ailleurs, n'est-il pas incohérent et naïf de malmener sa santé en mangeant n'importe comment et de croire ensuite que quelques « aliments santé » suffiront à éviter les problèmes ? La communication « nutritionnelle » des marques a cela de subtil qu'elle n'attire pas l'attention sur les risques de santé liés à une alimentation déséquilibrée ni sur les bienfaits d'une alimentation saine mais sur les avantages santé potentiels d'un produit modifié qu'il s'agit avant tout de vendre. En résumé, rien de neuf sous le soleil : sous des arguments santé altruistes, le secteur consolide de nouveaux créneaux porteurs. Pour le consommateur, le surcoût d'un aliment « santé » peut dépasser les 250% par rapport à son équivalent classique !
La meilleure option ne serait-elle pas de choisir ou de retrouver une alimentation saine mais plus généralement un mode de vie sain (9) ?
Enfin, se nourrir, ce n'est pas juste ingurgiter les bonnes quantités des nutriments adéquats. Se nourrir, c'est aussi partager, échanger, donner du temps au choix qualitatif des aliments, à leur préparation, et, surtout, à leur dégustation, dans une ambiance calme et sereine. C'est mâcher calmement, goûter, apprécier. Oui, c'est du temps. Mais nous le valons bien, non ? Et ça, aucun alicament, aucune pilule miracle ne pourra nous le fournir. Alors, si on profitait des vacances pour changer de cap ?
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