Omniprésente dans la plupart de nos produits de consommation courante bien que difficile à repérer sur les étiquettes, l'huile de palme, décriée par certains nutritionnistes et par les ONG de défense de l'environnement, des paysans ou des peuples indigènes, se cherche désormais une respectabilité dans les pays occidentaux. Suite aux pressions médiatiques des associations, les déclarations des industriels promettant de n'utiliser que de l'huile de palme durable ou bio, voire de s'en passer, se multiplient. Ainsi les acteurs belges de l'industrie alimentaire viennent de signer la Charte de l'Alliance belge pour une huile de palme durable (www.sustainabelpalm.be/) afin que, d'ici fin 2015, l'huile de palme contenue dans les produits destinés au marché belge soit durable !
Petit tour d'horizon d'une huile controversée illustrant à merveille toute la complexité du « développement durable »...
Le palmier à huile (Elaeis guineensis), originaire d'Afrique, fournit deux types d'huile : l'huile de palme de couleur rouge issue de la pulpe des fruits et l'huile de palmiste, blanche et de meilleure qualité, extraite des graines. L'huile de palme, naturelle, raffinée ou transformée, est présente dans près de 50% des produits alimentaires vendus en supermarché et dans de très nombreux produits cosmétiques ou d'entretien. Les produits bio n'y échappent pas non plus. Elle est également utilisée pour produire des biodiesels, carburants encouragés par l'Union européenne afin de réduire la part d'énergies fossiles consacrée au transport.
Avec un coût de production extrêmement bas et un rendement à l'hectare très élevé par rapport aux autres huiles alimentaires, l'huile de palme est devenue en une trentaine d'année l'huile la moins chère et la plus produite au monde. Quinze millions d'hectares lui sont désormais consacrés en Afrique, en Amérique du Sud et, surtout, en Asie du Sud. L'Indonésie et la Malaisie regroupent en effet à eux seuls plus de 80% de la production mondiale.
Les planteurs familiaux, le plus souvent des travailleurs citadins ayant quelques économies à placer, représentent 60 % du secteur des plantations à l'échelle mondiale. Le reste des palmeraies et des entreprises de transformation de l'huile de palme sont exploitées essentiellement par des groupes régionaux d'envergure internationale comme le malaisien Sime Darby, numéro un du secteur ou, l'indonésien Sinar Mas, tous les deux sous le contrôle de capitaux chinois. Les multinationales occidentales de l'agro-alimentaire, comme Unilever (premier consommateur d'huile de palme au monde jusqu'en 2010), Procter & Gamble, Nestlé ou Cargill ne sont quant à elles plus parties prenantes de la production d'huile de palme et font appel à ces fournisseurs.
L'essentiel de la production d'huile de palme est exportée, principalement vers la Chine, l'Inde et l'Union européenne. La consommation moyenne d'un européen est d'environ 12l/an d'huile de palme soit 25 m² de plantation. Suite à la croissance démographique et au développement des agrocarburants dans le monde, on prévoit une augmentation de la demande en huile de 30% d'ici 2020. Ainsi, début janvier l'Association indonésienne des producteurs d'huile de palme annonçait que la production et les exportations augmenteront significativement en 2012, tirées essentiellement par les besoins croissants de la Chine et de l'Inde. Le gouvernement indonésien investit quant à lui 5,6 milliards de dollars pour créer la plus grande palmeraie du monde d'une surface d'un million d'hectares.
Ce véritable succès de la mondialisation, cache mal le coût réel de la ruée vers l'or rouge : destruction de l'environnement, émission de gaz à effet de serre et problèmes éthiques de grande ampleur.
En effet, les palmeraies sont des monocultures cultivées sur des terres généralement déboisées par le feu et exploitant une main d'oeuvre bon marché. Elles surexploitent les réserves en eau, et utilisent des engrais et des pesticides. Sous les palmiers, rien ne pousse et, au bout de vingt ans d'exploitation, ils laissent la place à un sol dégradé.
En Indonésie, les surfaces de forêt primaires ont diminué de moitié depuis 50 ans, remplacées par des plantations (dont les palmiers à huile), et continuent de perdre environ deux millions d'hectares par an. Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) estime qu'au rythme actuel, elles seront détruites à 98% en 2020. Ces forêts sont pourtant le refuge d'une rare biodiversité (l'Indonésie abriterait de 10 à 15% des plantes, mammifères et oiseaux connus au monde). Certaines espèces animales, dont les emblématiques orangs-outans, éléphants et tigres de Sumatra, sont directement menacées de disparition à court terme. Il n'est pas rare désormais de les voir errer dans des palmeraies désertiques à la recherche de nourriture ou d'eau. A tel point qu'ils sont considérés comme des nuisibles pour les cultures et parfois tués par les exploitants au mépris des règles internationales de protection des espèces (www.capitalfm.co.ke).
Sur le plan climatique, c'est là aussi un désastre. Les incendies rejettent de grandes quantités de CO2 dans l'atmosphère. Par ailleurs, ces forêts ont accumulé depuis des milliers d'années de la tourbe dont la destruction serait à l'origine de 4 % des gaz à effet de serre, ce qui propulse l'Indonésie au rang de troisième émetteur mondial.
Enfin, les forêts détruites privent les populations locales de leur principale ressource et de leur mode de vie. Bien souvent, elles n'ont d'autre choix que de céder leur territoire ancestral à des investisseurs étrangers qui s'installent avec l'aide des pouvoirs politiques, voire de l'armée si nécessaire. Les rapports du World Rainforest Movement et les associations comme Survival International font état de menaces, d'intimidations, de violences, de violations des droits de l'homme et de destructions de propriétés. (www.survivalfrance.org/actu/peuples/penan). Les habitants dépossédés de leurs terres grossissent les rangs des travailleurs précaires des palmeraies et des usines de transformation de l'huile de palme et sont régulièrement victimes d'accidents ou de maladies liées à l'utilisation de produits toxiques. Ce type de production se fait au détriment de l'agriculture de subsistance et ne garantit manifestement pas de meilleures conditions de vie pour les populations locales ni un avenir durable [image : www.geo.fr].
Toutes ces raisons expliquent pourquoi certaines ONG, comme Greenpeace, le WWF, Les Amis de la Terre ou Survival International, se sont lancées dans une guerre médiatique contre les principaux acteurs de l'huile de palme. Citons notamment les campagnes contre Dove (Unilever) et Kit et Kat (Nestlé) en 2008 et 2009 qui avaient fait le buzz sur internet. Le but de la manoeuvre : toucher les pouvoirs publics indonésiens et malaisiens et les producteurs d'huile de palme afin de les obliger à produire une huile « éthique ».
En effet, dès 2004, les acteurs du secteur et les ONG se sont réunis au sein d'une Table ronde sur l'huile de palme durable (RSPO - www.rspo.org) pour définir les critères de durabilité de la production d'huile de palme.
S'il s'agit d'un premier pas dans le but de réguler ce marché international, il faut néanmoins signaler les grands absents sans qui les avancées resteront minimes : les entreprises agroalimentaires chinoises et les gouvernements en général. La RSPO s'apparente selon certaines associations à du greenwashing. Greenpeace a notamment publié en 2009 un rapport intitulé « La face cachée de Sinar Mas », dénonçant les pratiques illégales de l'entreprise en matière de déforestation (absence de permis de déboiser, pas d'évaluation des impacts environnementaux, destruction de tourbières), alors même que deux autres de ses filiales (dont Smart, visée par l'ONG) participent à la RSPO.
De son côté, la CTB, agence belge de développement, concluait ainsi son rapport de 2011 sur l'huile de palme dans les échanges mondiaux : « Aujourd'hui l'huile de palme certifiée durable ne représente que 7,5 % du marché, mais son avenir s'avère radieux. La question sera de savoir quelle sera la qualité de cette certification. L'huile « ségrégée »[toute l'huile est certifiée et tracée du début à la fin de la chaîne d'approvisionnement], la seule à pouvoir être vraiment qualifiée de durable, ne représente qu'une petite part de ces 7,5 % et peine à trouver preneur. Quant à l'huile de palme bio, il s'agit d'un marché très étroit (0,2 %), qui plus est soumis à de fortes turbulences depuis l'affaire de Las Pavas en Colombie (www.cath.ch/detail/une-communaut%C3%A9-paysanne-expropri%C3%A9e). Enfin, l'huile de palme équitable est, pour sa part, encore très loin d'inonder le marché. Dans un communiqué du 18 mars 2010, FLO, qui rassemble de nombreuses organisations de labellisation « équitable » dont Max Havelaar, explique qu'il n'existe pas de standard de commerce équitable pour l'huile de palme qui soit reconnu internationalement. Ceci n'empêche toutefois pas des produits alimentaires reconnus équitables pour d'autres éléments de leur composition d'en contenir. »
Les Amis de la Terre, dans leur rapport « Arnaque à l'huile de palme durable » (2011) indique qu' « Aujourd'hui, force est de constater que les importations européennes d'huile de palme ont continué d'augmenter malgré les annonces de quelques entreprises de l'agroalimentaire et de la grande distribution d'en arrêter la commercialisation. [...] Le principal moteur des importations d'huile de palme en Europe est en réalité le développement des agrocarburants ». Selon cette association, « l'essentiel de la production européenne de colza et de tournesol a été détournée vers les agrocarburants et, en substitution, les industriels de l'agroalimentaire et d'autres secteurs ont augmenté les importations d'huile de palme ». Concernant l'huile de palme durable et la RSPO, « Les critères sont trop faibles [...] et cette certification est utilisée pour ne pas remettre en cause le problème fondamental de surconsommation dans les pays riches ». Les solutions seraient de se tourner vers des huiles plus locales et surtout de réduire notre trop grande consommation d'huile (pour les pays occidentaux) plutôt que dans l'illusoire développement d'une monoculture d'exportation durable que ce soit la palme ou le soja OGM.
Sous le feu de la critique, les pays producteurs tentent de faire bonne figure, l'Indonésie a par exemple lancé en 2011 un moratoire sur les permis de déforestation de deux ans mais qui, manifestement, est encore à l'avantage des industriels. Les enjeux (géo)stratégiques sont tels que ce n'est manifestement pas demain qu'on cessera de déboiser pour l'huile de palme.
D'un point du vue santé, que dire à propos de l'huile de palme ?
A condition d'être non raffinées et de préférence de qualité biologique, les matières grasses nous fournissent de précieux nutriments. Notre organisme en a besoin comme matière première pour la fabrication d'hormones, pour le bon fonctionnement de notre système nerveux, pour construire les cellules... La phobie des graisses n'est donc pas une bonne idée. Encore faut-il ne pas en abuser et surtout, veiller à consommer une variété d'aliments qui nous apporteront différents types d'acides gras de manière équilibrée, avec une attention particulière aux acides gras oméga-3 que l'on trouve entre autres dans les graines et l'huile de chanvre et de lin (huiles à utiliser crues et de première pression à froid), les sardines et autres poissons gras, les légumes verts tels que le pourpier...
Ceci étant dit, qu'en est-il de l'huile de palme ? Il est vrai qu'elle contient beaucoup d'acides gras saturés. Cependant, issus d'une huile de bonne qualité utilisée avec modération, ces acides gras nous apportent, eux aussi, des substances nutritives et protectrices. L'huile de palme rouge est en outre riche en caroténoïdes, qui sont de puissants antioxydants. Si on évite l'huile de palme, c'est surtout pour des raisons environnementales. Pour préserver notre santé, fuyons surtout les matières grasses hydrogénées ou partiellement hydrogénées !
Pour l'huile de palme, le problème est plutôt dans la piètre qualité utilisée pour les produits industriels et, plus encore, dans son omniprésence : difficile aujourd'hui de trouver un biscuit qui n'en contienne pas. Idem pour les plats préparés, pizzas, snacks, mueslis croustillants, pâtes à tartiner chocolatées et pralinées : l'étiquette révèle très souvent la présence d'huile de palme. Les magasins bio n'échappent pas à la déferlante de l'huile de palme et, là aussi, il faut être vigilant.
Vous ne voyez pas "huile de palme" sur l'étiquette ? Regardez encore ! Derrière « huile végétale » se cache souvent de l'huile de palme. Quand il s'agit d'une autre huile, le producteur a tout intérêt à le préciser. Elle peut aussi être mentionnée sous les noms « huile palmiste », « stéarine de palme »... Une liste plus complète se trouve sur le blog "Vivre sans huile de palme" :
http://vivresanshuiledepalme.blogspot.com/p/lhuile-de-palme-se-cache-sous-ces-noms.html
La solution ? La plus évidente, c'est de fuir le plus possible tous ces mets industriels qui, certes, flattent nos papilles gustatives avec leur gras-sucré ou gras-salé, mais ne nous apportent pas les vitamines, sels minéraux, acides gras essentiels et autres précieux nutriments dont nos cellules ont tant besoin.
Cherchez donc assidûment l'honnête fermier, épicier ou crémier qui pourra vous proposer des produits de base de bonne qualité : fruits, légumes, céréales et légumineuses, agrémentés, pour qui veut, de fromage, crème, yaourt, oeufs et viandes produits par des animaux nourris sainement. Optez le plus possible pour les produits du pays, biologiques ou, à défaut, fermiers. Evitez les produits avec une liste d'ingrédients trop longue ou trop complexe. Cuisinez avec des produits simples et privilégiez les plats faits maison quand c'est possible. Pour savoir ce que l'on mange, rien de tel donc que le fait maison. Un exemple ? Ici, à la page 7 : www.taty.be/Doc/cuisnat4.pdf
Pour s'y retrouver en magasin, il existe également plusieurs listes et guides des bons et des truands de l'huile de palme :
Pour agir, en plus d'éviter le plus possible l'huile de palme, le mieux est d'informer ses proches et de donner son soutien aux initiatives des associations, comme les pétitions du WWF - www.protegelaforet.com - ou encore l'achat de forêts via des dons auprès de www.kalaweit.org.
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