Baisse du lectorat (un tiers des Belges n’a pas lu de livre au cours de l’année écoulée (1) !), disparition progressive des librairies en faveur du géant de la vente en ligne (et de ses pratiques peu recommandables), succès grandissant des ebooks, attention croissante pour l’impact environnemental de la production… Le livre est confronté à de nombreux défis. Quel est le rôle des professionnels et quels choix le consommateur peut-il poser ?

Livre imprimé et environnement

Une histoire d’encre et de papier, mais pas seulement…

La fabrication de la pâte à papier est grande consommatrice d’eau et d’énergie. Les nombreuses substances chimiques utilisées (blanchissants, colorants et autres adjuvants) sont responsables d’émissions polluantes dans l’air et l’eau. Selon l’analyse de cycle de vie d’un livre, réalisée en 2011 par Terre Vivante (2)71% des impacts environnementaux sont liés à la fabrication (production de la pâte à papier et du papier, impression, transport), 17% à la distribution, 10% à la conception du livre et 2% à la diffusion. Heureusement, ces impacts peuvent être partiellement atténués grâce à l’utilisation de fibres de cellulose issues de forêts certifiées ou, mieux, issues de papiers recyclés. En Europe, le papier recyclé est de plus en plus utilisé pour l’édition. Une bonne chose puisque la production de papier recyclé consomme deux à quatre fois moins d’énergie et cinq fois moins d’eau que son homologue à base de fibres vierges. On réalise aussi une belle économie de matières premières : 1,2 tonnes de vieux papier produisent 1 tonne de papier recyclé.

Lors de l’impression, on évalue à 10% la gâche de papier mais, avant tout, cette étape fait intervenir de nombreux composés chimiques et génère une importante quantité de déchets souvent dangereux. Les encres sont des mélanges complexes pouvant contenir jusqu’à une vingtaine de composants chimiques. Bonne nouvelle, les encres à base végétale sont largement utilisées et offrent de nombreux avantages : plus facilement biodégradables, fabriquées en partie à partir de matières premières renouvelables et moins de risques à l'utilisation.

Ultime étape de la fabrication d’un livre, le façonnage (découpe, pose de la couverture) serait, selon Terre Vivante, la phase du cycle de vie occasionnant le plus de rejets de substances cancérigènes après la fabrication du papier. En cause, le recours à un film d’acétate ou de polypropylène pour le pelliculage de la couverture. Un impact qui peut être limité grâce à un pelliculage à base de matières végétales et sans ajout de vernis.

Un livre n’est pas l’autre

Littérature générale, poche, livres jeunesse, beaux livres, guides de voyage… Autant d’impacts différents que de types d’ouvrages. Alors que les éditeurs multiplient les politiques d'impression sur papier recyclé, de réduction de gaspillage (papier moins blanc, plus fin, et moins de pages), la question est plus délicate pour la littérature illustrée à destination des plus jeunes lecteurs, les beaux livres ou la bande dessinée. Très colorés, pages épaisses, finitions spéciales, ces ouvrages affichent souvent un impact écologique assez mauvais.

Diffusion et distribution : le scandale du pilon

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Crédit photo : www.sxc.hu/photo/359139

Les pratiques de commercialisation sont aussi la source d’un important gaspillage. Pour attirer le public, il faut proposer sans cesse des nouveautés et les rendre très visibles. « Il ne s'agit pas de tout vendre. Il s'agit de vendre assez, le plus possible, dans le plus court laps de temps » (3) avant que d’autres nouveautés viennent les remplacer. On imprime donc beaucoup trop de livres, afin de remplir les têtes de gondole et faire de grandes piles dans les librairies.  À l’exception des best-sellers, leur durée de vie excède rarement trois mois. Les coûts de stockage des invendus, sans compter leur transport et manutention, sont tellement élevés qu’il est plus avantageux de les détruire. C’est ce qu’on appelle le pilon : une destruction industrialisée des livres, alimentant en matière première les entreprises de recyclage qui en referont du papier, des emballages...

Cette destruction est hautement symbolique pour certains. Soyons cependant rassurés sur le fait que les œuvres survivent. Ce qui est réellement détruit chaque année ce sont des tonnes de papier, ainsi que les autres ressources nécessaires à la fabrication des livres. En France, cent millions de livres sont ainsi envoyés au pilon chaque année !

Pour dénoncer cette pratique, des éditeurs belges ont organisé une action "Mort au pilon, libérons les invendus" de 2009 à 2011, lors de la rentrée littéraire. Sur leur site, on peut lire : « En plus de son coût écologique, cette surproduction planifiée et la pratique généralisée du pilonnage posent une vraie question à notre société : voulons-nous traiter le livre et plus largement la culture, l’information, l’éducation comme des marchandises ? » À cette occasion, ils ont décidé de distribuer les invendus à prix libres. Une initiative couronnée de succès puisqu’ils ont écoulé la plus grande partie des stocks destinés à cette action. Depuis 2012, l'action se continue donc toute l'année avec des ouvrages à prix libre accessibles au public dans certaines librairies (plus d’info sur leur page facebook).

Il était une fois des labels...

À ce jour, il n’existe aucun label concernant l’édition papier des livres ou des revues. Néanmoins, certains labels et initiatives privées font évoluer le secteur dans le bon sens.

Imprim’Vert   
Cette marque professionnelle française, lancée fin des années 90, ne constitue pas un “vrai” label dans le sens où il s’agit d’une initiative privée, non reconnue par les autorités. Cela n’enlève rien à l'intérêt de la démarche qui impose à ses signataires le respect de 5 critères : gestion rigoureuse des déchets dangereux, sécurisation des stockages de liquides dangereux, non-utilisation de produits étiquetés ''toxiques'', suivi énergétique du site et sensibilisation du public. Certaines entreprises labellisées vont plus loin en proposant à leur client des encres végétales et des papiers plus durables. En Belgique, 21 imprimeurs sont certifiés Imprim’Vert.

Labels FSC et PEFC
Ces labels portent uniquement sur la gestion de la forêt et l’origine durable des fibres de bois. Ils n’apportent aucune garantie sur les modes de production du papier ou le caractère écologique des encres utilisées. Actuellement, la demande en papier certifié est supérieure à l’offre. Seule 9% de la superficie forestière mondiale est certifiée. 

La Charte des éditeurs écolo-compatibles  
Cette initiative privée française regroupe une dizaine de petits éditeurs. Ceux-ci s’engagent à imprimer au moins 80 % de leur production éditoriale sur du papier recyclé ou certifié, à imprimer à moins de 800 km de leur principal lieu de stockage, à valoriser plutôt que pilonner les ouvrages en fin de vie et à partager leurs expériences de bonnes pratiques environnementales.

L'étiquetage carbone
Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le groupe d’édition international Hachette a lancé en 2012 les premiers livres porteurs d’un étiquetage carbone. Cette étiquette indique l'origine des fibres du papier (recyclées ou certifiées) et l'empreinte carbone spécifique de l’ouvrage en grammes équivalents CO2. Mais il s’agit plus d’un outil de réflexion interne et d’expression de l’engagement de l’éditeur que d’une information à destination du lecteur. Peu probable que ce dernier visualise ce que représentent 300 g d'équivalent CO2 et surtout qu’il choisisse un ouvrage en fonction !

Le livre numérique, pas si immatériel que ça!

Aux États-Unis, dès 2010, Amazon annonçait avoir vendu pour la première fois plus de livres numériques que de livres imprimés. Et en 2012, l’e-book occupait déjà 20% de leur

marché. En Europe, l’e-book ne représente qu’entre 2 et 5% des parts du marché, la progression y est plus lente et variable selon les pays. Les promesses de l’e-book? Des milliers de livres peuvent être stockés et lus sur une petite tablette de lecture. Il est possible de rechercher dans le texte et d’agrandir la taille des caractères pour une meilleure lisibilité. Autre avantage : il consomme très peu d'énergie. Vu comme cela, l'utilisation de l'e-book par un gros lecteur permet des économies de papier considérables. Une aubaine pour l'environnement? Vu de plus près, on est loin du conte de fée…

  • La fabrication des supports de lecture (liseuse, tablette, etc.) nécessite l’extraction et la transformation de matières premières : de l’eau, quelques métaux lourds et des minerais précieux (coltan, lithium...) dont l’extraction pose de graves soucis environnementaux et sociaux (4)
  • Consommation d’énergie à l’utilisation : les serveurs de stockage sont très gourmands en énergie. C’est aussi le cas des solutions de “cloud computing” (fichier stocké en ligne, lisible depuis n’importe quel appareil). La consommation à l’utilisation de l’e-book est variable selon les technologies. Les écrans E Ink, ne nécessitent pas de rétroéclairage et ne consomment du courant qu’aux changements de pages (exemple : Kindle ou Kobo). Certaines liseuses ont cependant un éclairage intégré qui permet de se passer d’une source de lumière externe, cette option consomme évidemment du courant. Les écrans LCD ont besoin d’un rétroéclairage (par LED) pour être lisibles et consomment donc constamment du courant (exemple : iPad ou Kindle Fire).
  • Durée de vie limitée : il y a d’une part la question de l’obsolescence programmée du support de lecture et celle de la pérennité des formats numériques. Même si la majorité des liseuses utilisent des formats ouverts et interopérables (faculté pour plusieurs systèmes de pouvoir communiquer entre eux) (ex : ePUB ou PDF), la fiabilité des stockages et l’évolution rapide des formats (apparition des formats propriétaires liés à une marque ou un logiciel) posent de réels problèmes de conservation physique des fichiers.

Alors, papier ou numérique ?

Selon le cabinet de consultants Cleantech (5), un exemplaire papier représenterait 7,5kg en équivalent carbone pour l’ensemble de sa chaîne de production et la fabrication d’un Kindle équivaudrait quant à elle à 168kg en équivalent carbone. D’autres études confirment que le bilan CO2 penche en faveur de la version papier. Il faudrait lire au moins 60 livres numériques par an pendant trois ans avec la même liseuse pour l'amortir écologiquement (6) ! Or, les Français par exemple en lisent en moyenne seize chaque année.


Source : www.greenpressinitiative.org/documents/ebooks.pdf

Mais d’autres critères entrent en jeu comme le confort de lecture, de travail intellectuel, de transport. Le texte sur papier est plus facile à comprendre, mémoriser et expliquer. Le numérique, lui, peut être enrichi par des contenus multimédia (vidéo, son, liens hypertextes…), annoté, indexé. La durée de vie d’un livre se compte en décennies et il est rare de remplacer une ancienne version d’un ouvrage. De plus, le rapport aux livres et souvent émotionnel : plaisir physique de toucher un livre, respirer l’odeur du papier et des encres, rechercher des livres anciens, des premières éditions, des dédicaces…

Et du côté des impacts sociaux ?

En Belgique francophone, le marché du livre a perdu 4,2% en quatre ans (ventes hors ligne en euro constant). De la petite librairie à la grande surface, tous les points de vente « physiques » notent une baisse du chiffre d’affaires. Bien qu’encore minoritaire dans notre pays, l’achat en ligne se développe rapidement : un lecteur de livres imprimés sur trois y a eu recours au moins une fois en 2012. Il est d’ailleurs le troisième canal d’acquisition après les grandes surfaces et les librairies. On peut donc légitimement mettre en regard l’érosion du marché du livre et l’importance prise par les sites de vente, Amazon largement en tête (7). L’Association des librairies étasuniennes a évalué qu’Amazon est responsable de la disparition de 42 000 emplois dans le secteur rien qu’en 2012. Le Syndicat de la librairie française a mesuré qu’à chiffre d’affaires égal, une librairie de quartier génère 18 fois plus d’emplois que la vente en ligne (8). Attention à ne pas confondre e-book et vente en ligne. La vente en ligne concerne tant les livres imprimés qu’électroniques.

Il ne s’agit pas ici de critiquer le commerce en ligne ni de « revenir en arrière » mais bien de mettre en lumière les conséquences. Cependant, si l’achat en ligne permet de réduire les coûts (notamment par l’absence de loyer onéreux dans les centres), il remplace plus difficilement le rôle du libraire, ce professionnel souvent passionné qui peut conseiller et orienter le lecteur. Conscientes des enjeux et de l’évolution du lectorat, certaines librairies évoluent et se mettent progressivement à la vente en ligne mais il est difficile de se faire une place à côté du géant…

Chez Amazon, l’emploi n’est pas la priorité, à tel point que la société est mise en cause pour son fonctionnement interne et ses conditions de travail pénibles. Le journaliste Jean-Baptiste Malet dénonce dans son livre « En Amazonie : infiltré dans ‘le meilleur des mondes’ » une organisation impitoyable, basée sur une infrastructure de surveillance informatique et de nombreuses caméras, des cadences difficiles à tenir, des contrats précaires, des syndicats quasi clandestins, la violation de la vie privée des travailleurs, leur fouille à la sortie par crainte du vol… L’entreprise est également décriée parce qu’elle élude une bonne partie des impôts dont elle devrait normalement s’acquitter dans les pays où elle est installée. En France par exemple, Amazon reçoit des subsides à l’emploi mais évite une série de frais en déclarant un siège social au Luxembourg. Idem au Royaume-Uni où elle ne payerait que 0,1% d’impôt sur son chiffre d’affaire de plus de quatre milliard de livres sterling (5 milliards d’euros) ! L’association britannique Ethical Consumer a d’ailleurs appelé au boycott.

Quelles options pour le lecteur ?

En tant que lecteur, on cherche plutôt un titre, un auteur, un genre. Il paraît difficilement imaginable de choisir « un livre dont la production est plus écologique ». Si le secteur a du retard, il a cependant commencé à évoluer vers plus de durabilité ces dernières années. Quant à la difficile question du pilon, certains évoquent une évolution possible vers l’impression « à la demande », rendue plus accessible par les évolutions de l’imprimerie et des chaînes de production. Cependant, cela ne résoudra pas le problème, qui résulte plus d’une logique de marketing que d’un enjeu technique.

Sur l’aspect social néanmoins, il est important de se rendre compte que la vente en ligne a des impacts sur l’emploi et les conditions de travail. Les usages évoluent… mais les différents acteurs peuvent co-exister. On pourra ainsi acheter en ligne (de préférence auprès d’une petite boutique ou de l’éditeur) un ouvrage précis ou difficile à trouver mais continuer à passer la porte de sa librairie pour la soutenir… et certainement faire de belles découvertes ! Des libraires créatifs se donnent beaucoup de mal pour donner une plus-value à leur commerce tout en offrant de chouettes expériences littéraires au public : apéros-livres, lectures par l’auteur, conférences, soirées thématiques, formules d’abonnement… Comme le signale Jean-Marie Pierlot, maître de conférence invité à l’École de communication de l’UCL : « Il ne s’agit pas de ‘résister au progrès technologique’ que nous offrent ces nouveaux acteurs économiques, mais de mesurer les conséquences que ce modèle entraîne et de faire les choix du monde dans lequel nous voulons vivre demain ».

On pensera aussi à la seconde main (à l’achat mais aussi pour le don). Pour cela, il y a de nombreux magasins d’économie sociale, des brocantes, des soirées troc… En ce qui concerne les livres scolaires, les étudiants pourront en acheter ou en revendre sur www.livresdesecondemain.be, créé par des louvanistes et se développant maintenant en coopération avec les Magasins du monde-Oxfam. Un livre trouvera aussi une jolie place dans l’une des givebox qui fleurissent en ville, à savoir une armoire placée dans un lieu public où on peut déposer ce dont on n'a plus besoin et prendre ce que l'on désire.

Une autre façon de « libérer » un livre est le bookcrossing : on l’enregistrer sur www.bookcrossing.com (ou sur www.livres-voyageurs.com) en laissant un petit commentaire sur ce qu’on en a pensé puis de le déposer dans un endroit public afin que quelqu’un d’autre le découvre. À son tour, cette personne pourra l’encoder sur le site. Il est ainsi possible de suivre le livre au fil de ses voyages. La bibliothèque de Namur est la première zone officielle de bookcrossing en Wallonie.

On n’oubliera d’ailleurs pas les bibliothèques, donnant accès à des milliers d’ouvrages pour presque rien et offrant souvent un intéressant programme d’animations, lectures publiques… Plusieurs d’entre elles proposent aussi la location de livres numériques et/ou de livres en streaming, et parfois même le prêt d’une tablette. C’est le cas notamment de la bibliothèque des Chiroux à Liège, celles de Bruxelles, Saint-Léger, Namur, Jambes, Saint-Servais, Charleroi…  Plusieurs bibliothèques universitaires sont également concernées.

Enfin, le principe du "café suspendu" fait des émules. Quand on prend un café, on en paye un second qui est laissé en suspens et sera offert à une personne démunie. À Jodoigne, une librairie a décliné le concept en « livre en attente » (voir la page facebook ou le reportage de TV Com). Lorsqu’on achète un livre, on en paye un second (ou un bon d'achat). Dans ce cas-ci, il est offert à l’AMO (service d’Aide en Milieu Ouvert), qui cherche à donner le goût de la lecture à des jeunes en difficulté.

Sur ce, on vous souhaite de bonnes lectures !

Sources et infos complémentaires :

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Dernière mise à jour
14 février 2014
Mots-clés
Rédigé par
Ann Wulf
Léa Champon

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