Ford Genk, Caterpillar à Gosselies, Carsid… autant de fermetures qui ont récemment marqué les esprits par les pertes d'emploi massives qu'elles ont générées… Avec une question lancinante : quel avenir pour ces régions ?
Début juin, Gunter Pauli, à l'origine du concept « d'économie bleue », était invité à Charleroi pour donner sa vision d'une réindustrialisation (voir la vidéo de cette conférence ici : http://vimeo.com/69147256).
Après avoir dirigé la marque de détergents Ecover, il l'a quittée quand il s'est rendu compte que l'huile de palme utilisée pour fabriquer ses produits avait provoqué la destruction d'un million d'hectares de forêt primaire, l'habitat des orangs-outans !
Qu'une entreprise soit exemplaire parce qu'elle diminue son impact environnemental à un endroit de la planète mais provoque des destructions irréversibles à l'autre bout du monde montre les limites de certaines solutions dites « durables ».
Il se retire alors au Japon et crée la ZERI (Zero Emission Research Initiative), une fondation consacrée à l'étude de solutions innovantes, avec l'aide de 3 000 chercheurs.
La fondation ZERI a répertorié plus de 2 200 initiatives et, en collaboration avec Janine Benyus, initiatrice du concept du biomimétisme, en a sélectionné 100 qui vont « changer le monde » : Nature's 100 Best : World Changing Innovations Inspired By Nature.
L'économie de marché qui s'est imposée dans le monde est basée sur une surexploitation des matières premières et génère des déchets et des pollutions. Un des aspects les plus visibles de cette économie est la mondialisation, caractérisée par un transport effréné des ressources et des marchandises qui parcourent des milliers de kilomètres. On peut la qualifier d'économie rouge dans la mesure où l'on vit à crédit sur les ressources et les générations futures.
Depuis Rio, en 1992, s'est développée une économie verte, avec l'objectif de diminuer l'impact sur l'environnement. Les produits « verts » sont moins polluants (ingrédients plus « écologiques », par exemple) mais ils coûtent chers et ne sont pas accessibles au plus grand nombre. En outre, il peut y avoir des impacts secondaires non négligeables comme certains produits bio qui prennent la planète en avion ou les agrocarburants qui concurrencent la production alimentaire.
Ceci est bien expliqué dans cette vidéo de la fondation ZERI :
www.youtube.com/watch?v=1af08PSlaIs
L'économie bleue est une économie circulaire (elle vise à ce que les déchets des uns puissent être utilisés dans les processus des autres), basée sur les stratégies développées par les écosystèmes, c'est le biomimétisme.
En 3,8 milliards d'années, la Nature a élaboré des solutions qui fonctionnent et qui peuvent nous inspirer. De nombreuses techniques sont déjà utilisées dans les produits courants, que ce soient les bandes velcro, les vitres autonettoyantes ou le TGV japonais Shinkansen inspiré du martin-pêcheur.
Les applications biomimétiques peuvent être classées selon une échelle de durabilité :
Exemples d'applications, d'après le document
« Étude sur la contribution du biomimétisme à la transition
vers une économie verte en France : état des lieux, potentiel, leviers »
Il ne suffit donc pas d'être biomimétique pour être durable : une voiture équipée d'injecteurs de carburant inspirés du coléoptère bombardier consomme moins de carburant mais le système n'est pas globalement amélioré. Et que dire de l'utilisation du génie génétique pour faire produire par une espèce une substance qui est normalement élaborée par une autre espèce ?
L'économie bleue ne se contente pas de diminuer l'impact d'une activité sur les écosystèmes, elle ambitionne de les régénérer, de créer des emplois, de contribuer à la sécurité alimentaire et tout cela avec des ressources locales ! En bref, il ne faut pas juste un peu moins polluer, il faut arrêter de polluer et repenser la manière dont on fonctionne.
Gunter Pauli définit la durabilité comme une réponse aux besoins de base - nourriture, eau potable, santé, emploi - avec les ressources locales.
Parmi les principes fondamentaux de l'économie bleue nous trouvons :
Quand il pose la question du verre à moitié vide ou à moitié plein, Gunter Pauli a une réponse surprenante : ce n'est ni l'un ni l'autre, le verre est rempli à moitié d'eau et à moitié d'air. L'air est un exemple de ressource qui est à portée de main et qu'on oublie d'utiliser.
L'utilisation de l'air dans des tourbillons permet de potabiliser de l'eau de mer en utilisant 70% d'énergie en moins que les méthodes traditionnelles avec membranes. C'est ce qui a été appliqué dans l'île de El Hierro (Iles Canaries) où, grâce à ce procédé, les paysans disposent de deux fois plus d'eau pour la moitié du prix.
Autre exemple : la culture de champignons à partir de marc de café. Habituellement, on n'utilise que 0,2% du café et d'énormes quantités de marc sont jetées. Or, ce marc qui a été stérilisé par l'eau chaude peut servir de substrat à des champignons, qui eux-mêmes peuvent servir à l'alimentation humaine. Leurs résidus peuvent ensuite être donnés à des animaux dont les déjections serviront à produire du biogaz. Circulaire, on vous dit !
Toujours à propos du marc de café, celui-ci possède des propriétés désodorisantes. Incorporé dans des fibres textiles, il permet de contrôler les odeurs, de filtrer les UV et d'accélérer le séchage. Les chaussures étant un secteur où le contrôle des odeurs est important, on y trouve logiquement... des chaussures incorporant du marc de café dans leur fabrication !
L'économie bleue s'intéresse aussi aux techniques de construction : certains matériaux synthétiques tels que les laines minérales ou le polyuréthane sont nocifs et demandent beaucoup de ressources pour être fabriqués. L'économie bleue va ainsi jusqu'à remettre en question les maisons hyper isolées avec système de ventilation mécanique (typiquement : les maisons très basse énergie et les maisons passives), tout simplement parce qu'il existe, dans la nature, des systèmes de refroidissement efficaces (par exemple la ventilation naturelle des termitières ou l'alternance du noir - qui absorbe la chaleur - et du blanc - qui réfléchit la chaleur - utilisée par le zèbre).
Quant aux panneaux solaires, on peut aussi faire beaucoup mieux. Plutôt que d'utiliser séparément un panneau photovoltaïque (pour produire de l'électricité) et un panneau solaire thermique (pour chauffer de l'eau), on peut combiner les deux dans un panneau hybride. La production cumulée des deux systèmes atteint les 825 kWh/m² et par an là où le seul panneau photovoltaïque plafonne à 125 kWh/an/m².
De tels systèmes sont installés en Suède, gage que cela devrait fonctionner sous d'autres climats moins rudes !
Pour le CO2 aussi, l'économie bleue a une solution : plutôt que de chercher à l'enfouir dans les couches géologiques ou dans l'océan, on peut l'utiliser pour produire de la spiruline, une algue aux excellentes qualités nutritionnelles, étant riche en protéines, acides aminés et oligo-éléments !
Il ne s'agit ici que de quelques exemples, très résumés. Une myriade d'applications sont détaillées sur le site http://theblueeconomy.org/blue/Innovations.html
Bien entendu, l'économie bleue n'est pas la seule alternative à l'économie linéaire (extraire-produire-jeter, produire plus à moindre coût) ni la seule voie pour arriver à un changement de paradigme.
L'économie circulaire, l'économie de fonctionnalité (payer pour un service plutôt que pour un bien, comme dans le cas du carsharing, de la location d'outils ou des bibliothèques…), l'écologie industrielle, l'économie symbiotique, le cradle to cradle (du berceau au berceau) sont des applications qui vont toutes dans le sens d'une efficacité beaucoup plus grande.
L'économie circulaire se trouve déjà en Wallonie, avec deux projets :
Pour le moment il y a cependant peu d'exemples de réalisations accessibles aux particuliers sur les sites web de ces deux dispositifs.
Finalement, quand on lui demande si l'économie bleue pourrait fonctionner en Région wallonne Gunter Pauli répond : « Si vous êtes encore capables de rêver alors oui c'est possible ! ».
Article rédigé par Jonas Moerman
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