Un filtre qui transformerait presque la publication de stories sur les réseaux sociaux en geste écolo ? La fausse bonne idée. Mais un bon coup de com' verte...
« Filtre respectueux du climat », « vous aide à réduire votre empreinte écologique », « les résultats sont stupéfiants » : voici quelques extraits de la présentation du nouvel « éco-filtre » lancé par un opérateur de télécom actif en Belgique.[1]
Après clignotement intense de mon détecteur de greenwashing, j’ai pensé à deux choses :
Bon, si ça ne s’applique qu’aux stories, comment est-ce que cet éco-filtre peut « faire du bien à la planète » ?
Allez, séquence quizz.
Est-ce que l’éco-filtre met les notifications en pause pour qu’on soit moins tenté d’aller voir tout le temps ce qui se passe ? Non.
Est-ce que l’éco-filtre ajoute un conseil écolo à chaque story postée ? Non plus.
Est-ce que l’éco-filtre rend impossible le partage de stories de WE en avion par un.e influenceur.euse ? Oufti non, se tirer une balle dans le pied, ça fait mal.
Est-ce qu’on peut mettre l’éco-filtre dans une boîte, cher Guy Lux ? Ah non, pardon, je me trompe de jeu.[3]
Bon alors, concrètement, qu’est-ce que ça apporte ?
En fait l’éco-filtre diminue la taille des fichiers d’environ 25 à 30%, ce qui diminuerait les émissions de gaz à effet de serre de 20% (selon l’opérateur).
Dit comme ça, ça fait bien. Mais quand on repense au fait que ça ne s’applique qu’aux stories, ça a tout de suite l’air mois ambitieux.
Parce qu’en gros, on parle d’un filtre qui, au doigt mouillé, doit diminuer l’impact d’un smartphone d’environ 0,00007 %.
Alors oui, c’est toujours ça de gagné, on est d’accord. On rappelle quand même que le très gros de l’impact d’un smartphone, c’est sa fabrication. Suivi de l’utilisation, surtout pour visionner des vidéos en ligne.
Mais de la part d’un opérateur qui met en avant, sur son site :
Comment dire…
Prenons un exemple pour illustrer.
Votre compagne ou compagnon revient d’avoir été faire les courses.
Le coffre de la voiture (une Cambio) est rempli de sacs (réutilisables) qui débordent (de produits locaux et bio évidemment).
Vous arrivez pour l’aider à rentrer les courses mais il.elle a déjà tout en main. Seul un paquet de 6 rouleaux de papier toilette n’a pas trouvé place.
Pour l’aider, vous prenez le paquet de papier toilette.
Est-ce que ça aide votre compagnon ou votre compagne ?
En toute objectivité, oui.
Est-ce que c’est significatif ?
Vous lui demanderez, mais je ne suis pas sûr que votre « c’est toujours ça de moins à porter » soit bien accueilli. Par contre boire de l’eau du robinet plutôt que de devoir acheter de l’eau en bouteille et la ramener à la maison, oui.
C’est le paradoxe désormais classique du monde d’aujourd’hui qui réfléchit au monde de demain mais qui visiblement n’ose pas penser un avenir vraiment novateur : faire du vert, oui, mais si possible sans rien changer de fondamental.
Et donc on nous ressert la même recette, encore et encore. Et pourquoi s’en priver, ça fait des années que ça marche. Vous voulez qu’on fasse moins de déchets ? Non non, on ne va pas utiliser des bouteilles réutilisables, ne soyez pas ridicules, on va recycler les emballages ! (25 ans plus tard, une étude néerlandaise estime que seuls 27% des emballages en plastique sont faciles à recycler).[4]
Comment, moins utiliser la voiture ? Mais non voyons, on va faire des SUV de deux tonnes avec un petit moteur électrique, ça passera crème.
Enfin bref, on peut mettre tous les pansements qu’on veut sur une jambe de bois, ça restera une jambe de bois.
S’il est vrai que la taille des photos est réduite avec ce filtre (et dans nos tests, la réduction est même plus importante que ce qui est annoncé au départ)[5], le filtre ne s’applique qu’aux photos faites au sein de l’application. N’espérez donc pas « alléger » une photo faite avec votre téléphone le matin pour la partager en story l’après-midi. Ni alléger une photo que vous voudriez partager en post (en non en story). C’est le règne de l’instantanéité.
Je garde le meilleur pour la fin : le filtre assombrit les photos assez significativement. Ce n’est pas une surprise car c’est une caractéristique annoncée.[6] Sans entrer dans les détails techniques, le choix est curieux. Si on reprend la photo de base, qu’on l’optimise dans un logiciel dédié, on peut en réduire la taille bien au-delà de ce que le filtre fait tout en gardant la luminosité originelle.[7]
Donc ça ne sert pas à grand-chose ET ça rend les photos moches.
Vendre des téléphones qu’on peut garder longtemps parce qu’ils sont mis à jour plus de deux ans, ça oui, ça servirait à quelque chose. Et éviter d’encourager à le changer avant l’heure pour un modèle tout neuf à 1€, ce serait pas mal aussi. Encore plus quand on sait que 25% des téléphones sont remplacés alors qu’ils fonctionnent encore très bien.[8]
Si vous avez vraiment envie de réduire votre empreinte numérique, on vous conseille plutôt d’aller lire nos conseils, garantis sans greenwashing.
> Voir : Comment réduire son empreinte numérique ?
[1] Dont le nom est un fruit. Indice : ce n’est pas Apple.
[2] Le lapin, le lapin ! C’est vieux, mais c’est drôle. Oui, c’est une référence à une pub. Personne n’est parfait, à nous aussi il nous arrive de déraper…
[3] J’avais pourtant dit que je ferais des références culturelles un peu moins moisies dorénavant. C’est pas en citant le Schmilblick que ça va s’améliorer.
[4] À lire sur wur.nl. Voyez aussi notre article sur les limites du recyclage.
[5] Pour les photos parce que pour les vidéos c’est nettement moins flagrant.
[7] 570Ko pour la photo sans filtre, 242 avec, 187 si on ré-enregistre celle de 570Ko en augmentant la compression jpeg. Honnêtement, la version à 187 Ko est bien plus belle que l’éco-filtrée, tout en ayant une taille plus faible. Le filtre ne peut peut-être pas agir sur la compression, c’est possible. Mais toujours est-il que techniquement, on peut faire bien mieux.