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La publicité a pour ainsi dire toujours existé (on retrouverait des traces de publicités datant de l’Antiquité). On pourrait considérer Internet comme un média de plus, au même titre que la télévision, la radio, le cinéma ou la presse « papier ». Pourtant Internet est spécifique, à plus d’un titre.

Si nous sommes déjà bien entourés de messages publicitaires en rue, à la télévision, dans les transports, dans nos magazines, à la radio, ceux-ci restent globalement passifs. Jusqu’à présent on n’a pas encore vu un panneau publicitaire se mettre devant nous pour qu'on ne puisse pas le rater (encore que, des panneaux dynamiques et interactifs ont commencé à fleurir depuis deux ou trois ans, certains mesurent même l'audience et les regards portés sur eux)

Sur le Net, si.

Et il ne faut pas aller loin pour le voir. Prenez le site d’un grand quotidien belge. Testé par hasard, en pleine écriture de ce dossier. Quelle est la première chose que le visiteur voit ? La Une du journal. Mais légèrement floue : et de fait, ce n’est pas la vraie « Une » du journal, mais une image qui reste quelques secondes avant d’être mise de côté par une mamy grecque, car, voyez-vous, cette fausse « Une » masquait une vidéo montrant un petit village grec, où la publicité a été tournée. Une fois le site accessible, on se retrouve avec une surface de contenu de 32% (menu compris) contre 68% d’espace publicitaire. Pas mal pour un site d’information !

Voilà à où en est arrivée la publicité sur le web : une tentative presque désespérée d’attirer le chaland, quitte à le harceler par des messages recouvrant le site que l’on est venu visiter, avec des vidéos qui se lancent toutes seules, des messages qui clignotent, des pavés intercalés entre divers contenus, etc.

Même les annonceurs reconnaissent le problème

L’Interactive Advertising Bureau (IAB), la puissante fédération mondiale de la publicité en ligne, a reconnu dès la première ligne de l’un de ses communiqués : « On s’est plantés. ».

On peut le dire ! Face à cette invasion, les internautes sont de plus en plus nombreux à utiliser des bloqueurs de pub afin d’accéder le plus directement possible au contenu qui les intéresse. Adblock, le plus populaire des bloqueurs de pubs, totaliserait même près de 200 millions d’utilisateurs dans le monde. Un internaute sur quatre en Belgique déclare bloquer la publicité sur Internet. C’est bien là le nœud du problème pour les annonceurs : que leurs publicités soient bloquées par quelques geeks militants est une chose, mais qu’une part significative des utilisateurs les bloque et tout est différent, surtout quand le manque à gagner se monte à 22 milliards de dollars (et même 41 milliards prévus pour 2016).

Utiliser un bloqueur de pub : plusieurs avantages

Un bloqueur de publicités masque ou empêche les publicités de s’afficher. L’utilisation première de ce genre de bloqueur est bien sûr de ne pas montrer la publicité. Mais la publicité n’est pas qu’une sollicitation visuelle ou auditive, elle a également un impact sur la rapidité de chargement des pages ainsi que sur... l’environnement.

En effet, comme tout contenu qui s’affiche dans votre navigateur, la publicité doit être téléchargée, ce qui utilise non seulement une part de votre bande passante, mais également une part des ressources de l’appareil que vous utilisez pour naviguer (mémoire, processeur...).

Tout cela est encore plus sensible pour le mobile, aux capacités plus limitées qu’un ordinateur et dont la batterie souffre d’un surcroît d’utilisation dû à la publicité. Un bloqueur de publicité demande également des ressources, mais au moins vous évitez le téléchargement des publicités.

Concrètement, on constate un ralentissement moyen de 25% de la navigation dû aux publicités. Si l’on regarde les publicités vidéo, c’est même jusqu’à 40% de données (de publicité, s’entend), que l’on télécharge en moins en utilisant un bloqueur de pub.

Le NY Times a été plus loin, en calculant le temps de chargement d’une page avec et sans adblocker sur un Iphone. Si le meilleur site analysé n’a qu’un petit 10% de différence en poids de données téléchargées avec ou sans bloqueur de pubs, le pire culmine à 80 %!

Par exemple, le site du Los Angeles Times

Le même genre de test a été effectué sur des sites d'info français et, en moyenne, utiliser un bloqueur de pub réduit le transfert de données de 68 % (à lire sur le blog de Tuxicoman).

Bref, on y gagne en temps, en ergonomie (site plus facile à lire), voire en argent (moins de données à télécharger).

Et en environnement ?

Il est très difficile de faire une évaluation précise de l’impact environnemental. Mais quand on sait que les besoins en énergie des infrastructures nécessaires à Internet (centre de données, liaisons et matériel réseaux, etc.) sont estimés à plus de 2 % de la consommation énergétique mondiale et que cette consommation double tous les quatre ans, on voit toute l'ampleur du problème. Dans certains pays c'est pire : 16 % de la consommation en énergie du Royaume-Uni est le fait d'Internet (source : http://www.notre-planete.info/actualites/4328-consommation-energie-web-saturation).

AdBlock... entre autres outils

Si Adblock est le plus populaire des bloqueurs de publicités, c’est aussi le plus critiqué ces derniers temps. Son utilisation est simple : il est censé bloquer les publicités des sites que vous consultez, sur base de critères régulièrement mis à jour. Si pour une raison ou une autre vous souhaitez voir les publicités, vous pouvez mettre votre site préféré en « liste blanche ». Et c’est là que le bât blesse, puisqu’AdBlock permet, moyennant finances, de mettre automatiquement certains sites en liste blanche. En théorie, les sites whitelistés doivent respecter toute une série de critères (publicités non invasives, entre autres) afin d’être autorisés.

On arrive donc à une situation où le web n’est plus neutre, mais orienté : vous verrez ce que l’on vous autorise à voir, même si on parle ici de publicités.

C’est un peu dans la même idée que Google pourrait à court terme intégrer un bloqueur de pubs natifs dans son navigateur Chrome. Les pubs autorisées respecteraient elles aussi certains critères pour qu’elles soient considérées comme « acceptables » (non dérangeantes pour l’internaute). Quand on sait que Google est un poids lourd de l’industrie publicitaire sur le web, on peut là aussi très clairement craindre un conflit d’intérêts, Google pouvant facilement favoriser sa propre régie publicitaire..

Cela risque également de réserver la publicité aux structures qui sont capables de payer « qui de droit » pour continuer à faire de la publicité. On en arrive donc à une situation paradoxale où la publicité est également un moyen pour plein de petits sites d'exister sans laisser toute la place aux mastodontes du marché, qui ne sont pas nécessairement les plus vertueux d'un point de vue environnemental.

Quoi qu’il en soit, il existe d’autres méthodes pour ne pas subir les publicités :

  • Ublock : extension pour navigateur, fonctionnant sur le même principe qu’AdBlock

  • Utiliser un navigateur qui intègre un bloqueur (Chrome bientôt, depuis peu Opéra également)

  • utiliser un bloqueur de scripts comme NoScript pour Firefox (partant du fait que les publicités font appel à toute une série de scripts pour se lancer). Le résultat est cependant moins fin et vous risquez de vous retrouver avec des sites webs ne fonctionnant pas correctement, étant donné que tous les scripts, dont ceux essentiels au site, seront bloqués.

  • modifier le fichier HOSTS, pour les plus bidouilleurs d'entre-vous ;

  • se tenir au courant de l’actualité via des flux RSS, qui reprennent les nouveautés d’un site sans devoir aller sur le site lui-même (et donc sans voir les pubs, sauf si le flux ne reprend pas tout l’article, ce qui est souvent le cas). Feedly est un de ces agrégateurs de flux (parmi d'autres).

Plus d’infos ici.

Un problème de « business model »

Pourquoi les sites acceptent-ils toutes ces pubs ? Cette profusion de messages vient notamment du fait que de très nombreux sites dépendent des revenus publicitaires pour leur fonctionnement.

Face à l’augmentation substantielle des utilisateurs de bloqueurs de publicités, les éditeurs de presse français (le « Geste ») ont donc décidé de réagir. De la même manière que certains sites vous demandaient déjà de désactiver votre bloqueur de pub (les publicités qui ne s’affichent pas ne leur rapportent rien), ils ont lancé le mois passé une vaste « offensive » coordonnée, de manière plus ou moins moralisatrice. Dans les grandes lignes, à l’instar de ce que Bild.de avait fait peu de temps auparavant, tant que votre bloqueur de pub est activé, vous n’avez pas accès au contenu. Si cela en a irrité plus d’un (notamment au vu du caractère un peu abrupt de certains messages d’avertissement), un mois plus tard force est de constater que 10 à 40% des visiteurs de ces sites ont whitelisté les sites en question.

L’effet rebond, en revanche, joue en plein : beaucoup de visiteurs, voyant cette impossibilité de consulter l’information demandée sans devoir désactiver leur bloqueur, s’en sont tout simplement allés voir ailleurs... Si on peut considérer que les visiteurs qui acceptent la pub sont plus « intéressants » pour l’éditeur du site, avoir un nombre important d’internautes qui s’en vont rapidement est mauvais en terme de référencement (Google, qui représente quand même 90% des recherches effectuées dans le monde, accorde une attention particulière à ce critère).

Il reste cependant à voir ce qui va se passer à l’avenir, car évidemment, s'il existe des anti-anti-pub qui empêchent l'accès aux internautes utilisant un bloqueur de pub, il n'a pas fallu longtemps pour que se développent des systèmes détectant ces anti-anti-pubs. Des anti-anti-anti-pubs, en quelque sorte. On n'ose imaginer la suite.

Mais le problème va bien au-delà d’une simple guerre entre pub et antipubs. Beaucoup d’observateurs pensent que c’est tout un business model qui reste à (ré)inventer. Si l’internaute ne trouve pas ce qu’il cherche sur un site qui lui interdit l’accès, il ira sur un autre. 98% des internautes déclarent ne pas être prêts à payer pour naviguer sans publicité. Ebuzzing a même calculé qu’il faudrait payer 170€ par an et par personne pour ne plus avoir de publicités.

Il est vrai qu'Internet s'est développé de manière gratuite et si des sites d'information pouvaient se permettre de proposer ce genre de services gratuitement, ce n'était valable que s'ils avaient d'autres rentrées (édition « papier » par exemple). À partir du moment où les ventes « papier » s'écroulent, ou qu'un média n'a que son site pour assurer des rentrées financières, toute la question du paiement se pose. Car derrière tous ces sites, il y a des gens qui travaillent.

Même le simple blogueur doit payer pour son hébergement, ce qui devient vite coûteux quand on a du succès. C’est dire s’il faut pouvoir proposer du contenu suffisamment exclusif et alléchant. De nombreux sites ont déjà commencé à adopter cette politique, en réservant tout ou partie de leurs articles à leurs abonnés. Un site comme celui des « Numériques » a fait un autre pari, en laissant tous leurs articles accessibles mais en offrant certaines exclusivités et une navigation sans pub à leurs abonnés « premium ».

Le spectre de la personnalisation

Pendant ce temps, les (régies) publicitaires n’ont pas attendu le ras-le-bol des internautes pour utiliser d’autres méthodes. De plus en plus, sur Internet ou ailleurs, la publicité invente de nouvelles manières de communiquer : placement de produits, publicités personnalisées (par mail, sur vos sites préférés, en tout début de votre liste de résultats « Google », etc.) et autres publicités interactives, drôles, sympathiques... D’autant qu’il paraît que les internautes aiment les marques. Si la marque communique de manière sympa avec lui, pas besoin d’essayer de le matraquer avec des vidéos qu’il ne pourra pas zapper ou par des pleines pages envahissantes.

Enfin, la personnalisation du message va de plus en plus loin. Si vous acceptez la publicité, vous avez sûrement déjà constaté que, curieusement, vous apercevez des publicités pour des produits sur lesquels vous avez déjà fait une recherche. Ou bien que vous recevez, justement, un mail personnalisé mettant en avant tel ou tel produit que vous avez consulté récemment sur un site de vente en ligne.

Ne croyez pas qu’interdire les cookies y change quoi que ce soit : si les cookies ont été considérés pendant longtemps comme des mouchards, il y a bien d’autres techniques (ici et ici) maintenant pour vous tracer et vous « définir ». Même Google « lit les mails » que vous recevez sur votre adresse gmail si vous en avez une.

Toucher la bonne personne, au bon endroit et au bon moment : on en revient toujours à ça.

Certains considéreront que c'est efficace et pratique : si vous vous intéressez au matériel de bricolage, peut-être serez-vous intéressé par une promotion vantant les mérites d'une nouvelle scie radiale à onglets.

Mais ce côté pratique a au moins trois revers :

  • il pousse à consommer. Si vous recevez une ou plusieurs publicités pour des produits sur lesquels vous vous êtes renseigné, ne craquerez-vous pas plus vite ? Quand la vitrine vient jusque devant vos yeux, sans devoir bouger de votre canapé, difficile parfois de faire la bonne distinction entre besoin et envie !

  • il réduit, d'une certaine manière, nos centres d'intérêt. Pas que ceux-ci soient dictés par la publicité, mais de manière générale, proposer des offres « ciblées » réduit de facto la diversité des messages entendus. C'est vrai pour de la publicité, mais pour le reste également : musiques « qui vont vous plaire », articles « que vous aimerez aussi », etc.

  • il vous « définit » de plus en plus en sachant de plus en plus de choses sur vous. Si les annonceurs se défendent de croiser vos coordonnées avec votre profil (de consommateur) anonyme, il n'en reste pas moins que le risque existe, ne fût-ce que par fraude ou piratage. Fin du fin, le « single sign-on » qui vous permet de vous connecter à différents services en utilisant un compte existant ailleurs (typiquement, avec un compte facebook) permet(trait) à ce dernier de croiser profil et comportement de consommation.

Si ce débat-là dépasse le simple cadre de ce dossier, limiter le traçage et l’exposition à la publicité est possible, que cela passe par des méthodes défensives ou par d'autres modèles de financement. C’est déjà une bonne nouvelle de savoir que ces possibilités existent, même si cela nécessite de s’informer, d’aller plus loin que les outils gratuits avec des réglages de base et de suivre les évolutions de près les évolutions des technologies...

Image d'article : Daniel Oines - Half an hour of web ads - Flick'r


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