Quand la pub apparaît, la raison disparaît ! La publicité vend du rêve, joue sur les émotions et affûte ses multiples techniques. Derrière son air séduisant, elle n’a qu’un but : faire consommer toujours plus.

Or, à côté du matraquage publicitaire, il y a urgence pour l’environnement. Les messages se télescopent et on a l’impression d’un combat de David contre Goliath. Même si on voulait couper les ailes du secteur publicitaire, ce serait difficile tant son poids économique est important.

Alors peut-on faire de la pub sans freiner la transition écologique ?

Sommaire :

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La pub pousse à la surconsommation

On nous vend du rêve

La publicité ne vend pas seulement du savon, des vêtements ou des voitures, mais aussi de la jeunesse, de la beauté, du statut social.[1]

L’objectif de la publicité commerciale est bien de déclencher un acte d’achat. L’argument selon lequel la pub serait un moyen d’information est dépassé. Et il est difficile de demander au consommateur de décoder les messages et de faire la part des choses entre arguments publicitaires et vraie nécessité d’acheter. Ce serait faire fi des ficelles utilisées par la pub pour pousser à la consommation, en dehors de toute approche rationnelle. Son objectif est véritablement de susciter le désir.

Certaines techniques tiennent presque de la manipulation[2], la pub utilise par exemple le neuromarketing. Même quand on a l’impression de ne pas être influencé par la publicité, elle s’immisce dans l’inconscient.

 

 

De 04:30 à 07:00, ce reportage « La pub influence-t-elle nos achats ? »  diffusé dans La Quotidienne montre une personne, a priori réfractaire à la publicité, réagir à des pubs sans même s’en rendre compte. Des lunettes de suivi oculaires, des capteurs de micro-sudation et de l’IRM montrent des réactions physiologiques à l’expérience émotionnelle offerte par la pub. Plus tard, dans le magasin, le cerveau opère des associations d’idées qui vont pousser vers un produit plutôt qu’un autre.
 

De quoi bloquer la réflexion et pousser aux achats impulsifs

Beaucoup de nos comportement sont liés à des hormones et des émotions. Il n’en va pas autrement pour l’impulsivité et donc les achats impulsifs.

Il existe dans le cerveau une zone appelée le striatum qui pilote le circuit de la récompense. En gros, lorsque l’on a un manque (de nourriture, de sexe, de protection, c’est un système très primaire) et que l’on va le combler, notre corps secrète de la dopamine, en prévision d’une récompense future.[3]

Voilà pourquoi un achat impulsif est « excitant » : il répond à un besoin immédiat, basé sur des émotions qui évitent tout comportement rationnel.

La pub utilise les émotions pour guider vers certains produits puis leur achat impulsif apporte un plaisir direct. Difficile de lutter contre ça avec des arguments rationnels qui obligent à un processus de réflexion plus complexe et moins gratifiant…

Une pression constante

Plus de 15 000 stimuli commerciaux par jour[4] , voilà à quoi on était soumis avant même l’explosion de la publicité en ligne. Parmi ces stimuli, 1000 à 2000 messages publicitaires mais aussi toutes sortes de sollicitations visuelles comme les logos de marques sur les vêtements, les affichages sur les sacs de courses, les marques sur les produits…

C’est que la pub est partout : à la télévision, à la radio, dans les journaux, les magazines, dans l’espace public, sur le mobilier urbain, au cinéma, dans les films, dans les boîtes aux lettres, lors des évènements sportifs et culturels, sur les sets de table au resto, dans les toilettes des cafés…

Et sur Internet évidemment : quand on lit un article, quand on consulte ses mails, quand on fait une recherche, sur les réseaux sociaux… La publicité sur le web prend de plus en plus d’ampleur depuis plusieurs années. Les terrains de jeu sont multiples, que ce soit du Display (bannières, annonces au milieu des articles), du Social (posts sponsorisés sur les réseaux sociaux), du SEA (publicité dans les moteurs de recherche avec des adwords), des spots sur les plateformes vidéo ou l’utilisation d’autres supports digitaux (pub dans les podcasts, dans les applis…).[5]

Bref, difficile d’échapper à la pub. Même si on peut essayer de s’en protéger un peu.

> Lire : 7 astuces pour moins de pub

Et ça marche !

Qui n’a jamais fredonné le jingle d’une marque ? Raconté une pub mythique de son enfance ? Versé une larme devant une vidéo attendrissante (pour se rendre compte dans l’écran final qu’elle était commanditée par une multinationale) ? Ou encore cliqué sur un produit parce « D’autres personnes ont aussi regardé cet article qui est bientôt épuisé » ?

Mais passe-t-on pour autant à la caisse ? La réponse est oui.

La communication contribuerait à la moitié des ventes de produits d’entretien, de produits d’hygiène et de beauté ou encore de produits d’épicerie.[6] Et elle favoriserait de façon directe la croissance de ces marchés.

Au supermarché, ce n’est pas mieux. 50% des consommateurs déclarent se laisser influencer par les écrans ou affiches présents sur place. Et cela alors même qu’une écrasante majorité fait ses achats une liste de courses à la main.[7]

En ligne, c’est pire encore. Comme le smartphone a supplanté l’ordinateur, la géolocalisation et les cookies permettent d’analyser les habitudes des utilisateurs et de cibler des publics de façon précise et performante. Le fait de traquer l’activité permet des petits tours de magie : un matin on lit un article sur une nouvelle marque de chaussures et, dès le midi, une foule de pubs pour des chaussures apparaissent en marge des mails, des réseaux sociaux, des articles lus en ligne… Ils sont vendus dans une boutique située justement à côté de chez soi ou, plus facile encore, dans une boutique en ligne.
 

 

Exemple d'utilisation de cookies pour faire apparaître de la pub personnalisée

Autre exemple : après avoir consulté un article sur un site marchand, on reçoit une pub sur le site de la télé publique RTBF.
La petite flèche au-dessus de la pub renvoie vers la régie publicitaire teads.tv et les paramètres de sécurité du site de la RTBF montrent en effet la présence d’un cookie sync.teads.tv qui lui permet d’afficher des pubs pour des produits sur le site marchand.

 

Bref, il n’y a plus qu’à cliquer sur le produit, valider le panier, payer. Acheter en 3 clics, c’est trop facile. De quoi commander plus vite qu’on ne réfléchit !

Au cas où on hésiterait, les sites de ventes en ligne mettent en place 19 fonctionnalités ou leviers pour favoriser les achats impulsifs, en moyenne. Le champion Amazon utiliserait même jusqu’à 30 techniques différentes.[8]

De quoi expliquer que le mobile accapare désormais plus de la moitié des dépenses publicitaires.[9]

> Lire aussi : Comment concilier achats en ligne et environnement ?
 

Pendant ce temps, l’urgence environnementale grandit…

Les enjeux environnementaux et éthiques nécessitent de consommer moins et mieux, de respecter les travailleurs qui fabriquent les produits, d’acheter local, de viser le zéro déchet

Par exemple, pour relever le défi climatique et respecter l’accord de Paris, il faut diviser les émissions des gaz à effet de serre par deux d’ici dix ans. Cela implique une profonde modification des modes de production et de consommation et la participation de tous.

Résultat : on se retrouve dans un véritable combat entre des messages rationnels qui invitent à une consommation réfléchie et la publicité qui agit sur les émotions pour pousser à la surconsommation.

La sobriété en sort trop souvent perdante. Pourtant « less is more » et ceux qui ont sauté le pas de la transition écologique mettent en avant ses nombreux bénéfices : santé, économies, convivialité, sens, pouvoir d’action, liberté.

> Voir notre campagne « Less is more » et ses idées pratiques pour un avenir radieux.

Certains défendent l’idée que les techniques des publicitaires pourraient très bien servir à soutenir des campagnes de sensibilisation à l’écologie.[10] Mais les moyens financiers déployés par les grandes marques pour promouvoir leurs produits rendent les autres messages inaudibles.
 

Peut-on se passer de la pub ?

La solution paraît évidente : mettre fin à la publicité. C’est une option toutefois peu réaliste.

D’une part, la publicité ne sert pas que les multinationales, elle est aussi utile pour permettre aux artisans et producteurs locaux et durables de se faire connaître (notamment via la pub en ligne qui est devenue très accessible).

D’autre part, la publicité est un poids lourd économique.

Il y aurait eu près de 5 milliards d’euros d'investissements publicitaires en 2020 en Belgique.[11] Cela comprend le digital et les supports classiques (TV, journaux, radio …). Par contre, ce ne sont pas des dépenses réelles mais la valeur d’achat d’espaces publicitaires, qui ne tient donc pas compte des remises commerciales (et elles sont nombreuses !).
 

Graphique sur les investissements publicitaires en Belgique

Le numérique représente 30% des dépenses publicitaires en Belgique (d’après l’Agence Space), une part qui va en augmentant.[12]Avec les confinements, les dépenses dans la publicité classique ont reculé de 15%, la télévision se maintient alors que le cinéma et la presse gratuite ont vu leurs recettes publicitaires fondre. Au niveau mondial le numérique représente même la moitié des 625 milliards de dépenses publicitaires.
 

Or,  1€ investi en publicité générerait 5€ dans le PIB belge. C’est un peu moins que la moyenne européenne de 7€.[13]

Cet effet de levier sur l’économie, s’il doit être nuancé, fait de la pub un moteur indispensable de la sacro-sainte croissance.

Un grand pan du secteur des médias dépend aussi de la publicité. Par exemple, la crise liée au coronavirus a entraîné une baisse de 14% des revenus publicitaires pour RTL Belgium, soit une diminution de chiffre d’affaires de 26 millions d’euros en un an.[14]

Certains estiment que financer la presse par la publicité garantit son indépendance. En effet, cela lui permet de ne pas dépendre des politiques mais être « encadrée » par des intérêts privés est-il mieux ?

 

Quelles solutions pour faire coexister publicité et transition écologique ?

Est-il possible de concilier les impératifs économiques de la publicité et la nécessaire transition écologique, deux logiques a priori opposées ? La pub pourrait-elle orienter vers des produits et des pratiques plus durables ?

C’est en tout cas l’idée défendue par la convention citoyenne pour le climat en France. Parmi ses nombreuses propositions visant à réduire le émissions de gaz à effet de serre de 40% à l’horizon 2030, trois concernent l’encadrement de la publicité.[15] Elles sont assorties de suggestions de formulations légales. Le rapport français « Publicité et transition écologique »[16], fruit de multiples rencontres avec différents secteurs, propose aussi 25 pistes de solutions, dont certaines pourraient être intéressantes en Belgique.

Concrètement, les solutions dépendent à la fois de l’initiative des pouvoirs publics, de la volonté des entreprises et des actions des citoyens. Voici certaines pistes.

Mieux réguler la publicité 

Seuls 8% des citoyens souhaitent l’arrêt de la pub mais ils demandent moins de matraquage et de greenwashing.[17]

Pour l’instant, c’est l’auto-régulation par le secteur qui est privilégié. Personne n’aime les interdictions. Et surtout pas les professionnels de la pub et de la communication, dont le métier est avant tout basé sur la créativité. Pour intégrer les exigences sociétales, le secteur préfère l’autorégulation : il se fixe lui-même des règles et se charge de les appliquer.

En Belgique, le secteur de la publicité est représenté par le Centre de la Communication[18], qui gère le jury d’éthique publicitaire (JEP). Le JEP a pour mission « d’assurer une publicité loyale, véridique et socialement responsable ». Il est chargé d’appliquer les règles et les codes.[19] Il y a des codes généraux, sectoriels (pub automobile ou pub pour des cosmétiques par exemple), intersectoriels (code de la publicité écologique notamment) ainsi qu’un ensemble de règles et de recommandations (par ex. concernant la pub pour les énergies de chauffage).

N’importe qui peut introduire une plainte au JEP, qui l’examine sous 15 jours. Le JEP fonctionne de manière transparente et publie ses décisions. Une petite recherche sur le site du JEP fait apparaître que ces dix dernières années, il n’y aurait eu que très peu de décisions concernant d’éventuels manquements aux règles liées à l’environnement (45 sur un total de 1558 depuis début 2010).

Faut-il pour autant en déduire que le greenwashing est en perte de vitesse ? Malheureusement non. Cela indique peut-être que le greenwashing est plus subtil. À moins que des plaintes passent sous le tapis pour garder de bonnes statistiques ? C’est ce que pointe du doigt Canopea dans un article. qui évoque 109 plaintes pour non-respect de l’environnement et tromperie en 2020.[20]

D’ailleurs, en janvier 2021, le Centre de la Communication a tenu à rappeler les règles à respecter en matière de publicité pour les  voitures[21] suite à une recrudescence de plaintes pour des allégations environnementales et d’émissions de CO2. Il indique par exemple que la publicité doit être loyale et respecter la responsabilité sociétale. Notamment « Pas de représentation d’enfants sauf pour promouvoir des éléments de sécurité́ ou confort ou dans un contexte familial. » La publicité ci-dessous montre l’inverse :

Publicité pour une voiture, non-respect des règles du secteur

Dans cette publicité vidéo, un oiseau suit un enfant installé dans un SUV de près de deux tonnes.
Le message « prenons soin de demain » fait référence au mode « zéro émission » permis par le moteur électrique. L’enfant représente l’avenir et l’oiseau une nature préservée.

Dans la brochure de ce véhicule, le positionnement de la marque est tout autre :
« Il s’agit de dominer son habitat ».

Publicité pour une voiture, greenwashing

On pourra regretter au passage que les règles sur la publicité (par exemple : on ne montre pas de véhicule dans des milieux naturels) ne s'appliquent pas au marketing.
 

Peut-on donc laisser la pub soumise ainsi à l’autorégulation par le secteur ? Il est urgent de rendre la règlementation plus cohérente avec l’objectif de transition écologique et de la faire respecter. Par exemple, on pourrait au minimum prohiber la publicité pour les produits en passe d’être interdits (par exemple les véhicules thermiques à l’échéance 2035 en Région bruxelloise).

Définir un cadre spécifique pour le numérique

La pub bascule progressivement vers le numérique, qui représente déjà 30% des investissements publicitaires en Belgique.[22] Et cela va certainement encore augmenter car, avec le confinement, les usages du numérique ont littéralement explosé (télétravail, cours à distance, les réseaux sociaux, films et séries à la demande, achats en ligne…).

Les acteurs de la pub sont soumis à certaines règles, il ne faudrait pas que le numérique pense pouvoir se développer hors de ces contraintes. La pub en ligne est soumise aux règles générales de la publicité, au même titre que n’importe quel autre support. Ainsi qu’à certaines dispositions comme le principe d'identification (l'utilisateur doit pouvoir distinguer une publicité d'un autre contenu) et de transparence (savoir qui est derrière une publicité).[23] Mais cela ne suffit pas.

Le numérique pose des problèmes de régulation particuliers car d’autres procédures peuvent être d'application en fonction du pays d'origine de l'annonceur.[24]

On constate beaucoup de dérives :

  • Au niveau de l’Europe, la Commission et les autorités nationales ont passé au crible des milliers de sites web[25] et ont constaté que la moitié des allégations environnementales ne sont pas étayées par des preuves. Autrement dit, on est en plein greenwashing : des marques déclarent des produits « écologiques » sans qu’aucun label ou certification l’atteste.
  • Le bilan 2019 « Publicité & environnement »[26] de l’ARPP et l’ADEME inclut seulement pour la première fois les publicités sur Youtube. Il indique que la moitié (54%) des publicités analysées ne respecte pas les règles déontologiques.

Des plaintes sont possibles. Dans le domaine non-environnemental, Test-Achats et d’autres organisations de consommateurs comme le BEUC ou UFC Que choisir[27] ont récemment porté plainte contre TikTok, entre autres parce que ce réseau social, principalement utilisé par des jeunes, ne les protège pas assez de la publicité cachée et les incite à promouvoir des marques via des concours de hashtags.

L’ampleur du non-respect des principes éthiques devrait inciter à prévoir des règles spécifiques. Actuellement, l'encadrement de la publicité sur Internet tourne surtout autour de l'utilisation des données personnelles. Et d'une manière indirecte, par la taxation des géants du web.

Réguler la publicité dans l’espace public

Une particularité de la publicité dans l’espace public est qu’elle est imposée aux citoyens. On peut choisir de ne pas regarder la télévision ou de zapper pendant la pub. On peut décider d’acheter une presse libre de pub. Mais dans la rue ?

Envahissemnt publicitaire de l'espace public
Trop de pub dans la rue et sur les bâtiments

Non contente de s’exposer sur de multiples panneaux d’affichage en ville, la pub cherche toujours à se rendre plus présente. À gauche : une remorque publicitaire pour attirer les étudiantes à l’ULB, à droite un monument à Paris surmonté d’une énorme publicité.

Affiche message d'intérêt général

Les affichages publicitaires dans l’espace public peuvent aussi être informatifs, voire éducatifs.

Dans les années 60, Jean-Claude Decaux a eu une idée qui allait révolutionner l’affichage publicitaire : il a proposé à la ville de Lyon de construire des abribus et d’en utiliser les parois pour afficher des publicités et des messages d’intérêt général comme des plans de ville. Très vite, ces abribus sont également apparus à Bruxelles. L’idée a tellement bien fonctionné qu’aujourd’hui cette société et d’autres sont présentes partout dans le monde, avec des produits variés : du mobilier urbain, des sanisettes (WC publics), des vélos partagés (Villo à Bruxelles, Li Bia Velo à Namur…). Ce partenariat est vu comme un win win : les autorités locales bénéficient de mobilier urbain de qualité, bien entretenu, tandis que JC Decaux dispose d’un réseau d’affichage extrêmement étendu, gage pour une marque que sa pub sera vue par le plus grand nombre.

De plus en plus d’écrans numériques remplacent les affiches en papier. Ils permettent de varier plus rapidement parmi un grand nombre de pubs (puisqu’il suffit d’envoyer un fichier informatique) et de diffuser des messages différents en fonction des heures (pour atteindre un public différent).

Des collectifs[28] dénoncent cet accaparement de l’espace public par le privé et la complaisance des autorités locales qui se sont rendues dépendantes de la publicité pour équilibrer leur budget. Ces dernières répondent souvent : « si on doit financer nous-mêmes le mobilier urbain, on devra augmenter les impôts ».

Quelques pouvoirs publics commencent à faire marche arrière. Par exemple, la ville de Grenoble a arrêté son  partenariat commercial avec JC Decaux en 2014 et a révélé un manque à gagner de 150.000 €. Cela permet de relativiser le poids des recettes dans le budget communal (en général moins de 0,5%). Et, surtout, Grenoble n’a pas augmenté les impôts, elle a choisi de diminuer les remboursements de certaines dépenses des élus. Lille a également interdit une série de panneaux numériques en 2020[29] et Marseille devrait interdire ces panneaux dans le centre-ville en 2022[30].

Interdire la pub pour les produits les plus polluants

L’association de consommateurs UFC Que Choisir a constaté qu’en France la majorité des publicités pour des aliments orientées vers les enfants concernaient des produits avec un mauvais nutriscore, des aliments trop sucrés ou trop gras. Et ceci alors que l’obésité infantile est un vrai problème.[31]

Dans le domaine environnemental, c’est le même problème. L’une des solutions consisterait à interdire la publicité pour les produits particulièrement polluants, tels que les grosses voitures SUV, le transport aérien low cost, les fast foods… Même si les produits en eux-mêmes ne sont pas interdits, diminuer leur attractivité semble indispensable.

Amsterdam a franchi le pas en décembre 2020 : les publicités pour les énergies fossiles et les produits qui les utilisent (en particulier les voitures thermiques) et les vols low-cost y sont interdits.

En Belgique, des économistes, des scientifiques et des entrepreneurs formulent des propositions pour une relance « verte ».[32] Ils imaginent notamment l’interdiction de la publicité pour certains produits comme les véhicules les plus lourds et les plus polluants.

> Lire aussi : Et si on interdisait la publicité pour les véhicules polluants ?

Légiférer suppose bien sûr de définir les catégories de produits concernés et de déterminer les seuils à partir desquels ils devraient être interdits de publicité.

L’exercice a été fait pour les voitures. Une proposition de loi[32b] a été déposée en Belgique en mai 2020 pour interdire la publicité pour :

  • les voitures particulières émettant plus de 95 g CO2/km ou pesant plus de 1400 kg ;
  • les véhicules utilitaires légers (camionnettes) émettant plus de 147 g CO2/km.

Ces seuils correspondent aux valeurs fixées par l’Europe.[33]

Mais s’attaquer à la pub automobile n’est pas une mince affaire. C’est un peu une « vache sacrée » :

  • 70% des publicités concernent des véhicules avec des émissions supérieures à la moyenne alors que seulement 16% visent les véhicules économes en CO2.[34] C’est ce qu’a constaté Pierre Ozer, chercheur à l’ULg, après avoir épluché les pubs pour voitures début 2020.
  • Pour chaque voiture vendue en Belgique, en moyenne 600 euros ont été investis en publicité.[35]

Quand la SNCB accepte des pubs pour des voitues au sein des gares...

Même à la SNCB ! Quand Publifer, la filiale publicité de la SNCB, fait une pub pour son affichage en gare, elle n’hésite pas à illustrer son offre par une pub… pour une voiture ! Ou comment scier la branche sur laquelle on est assis…[36]
 

Une pub d’un fabricant de vélos a même été interdite par l’agence de régulation de la publicité en France car on considérait qu’elle pouvait porter préjudice à l’image de l’automobile ! Il y a encore du chemin à faire…

 

Cette vidéo a été interdite en France. Elle nuirait à l’image de la voiture !

Tester de nouveaux modèles dans les médias

De rares médias font le pari de se passer (au moins partiellement) de la manne publicitaire.

Quelques exemples : 

  • La RTBF bénéficie d’un financement public et le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé diminuer de moitié le nombre de publicités diffusées pendant la tranche horaire de la matinale et de les supprimer complètement à partir de juillet 2021. Cela pourrait provoquer un manque à gagner de 2,8 millions d’euros par an.[37] Mais il faut rester vigilant : le CSA indique que cet investissement pourrait bénéficier… aux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). Comme quoi il faut une vision globale pour ne pas pénaliser un secteur à la faveur d’un autre.
     
  • Le Guardian n’accepte plus de pubs pour les énergies fossiles (des entreprises comme BP ou Exxon Mobil) depuis janvier 2020. Voilà une démarche intéressante.
     
  • Radio France a choisi une autre voie. Elle réserve une partie de son temps disponible pour des communications associatives (accès gratuit) ou pour la promotion de produits écoresponsables durables (avec d’importantes réductions sur les tarifs).[38] Cela équilibre un peu le jeu entre les émissions en rapport avec la transition écologique et des messages publicitaires qui vont à l’inverse encourager la surconsommation.
     
  • Certains médias fonctionnent sans publicité (Medor ou Kairos en Belgique par exemple) mais le prix de vente est automatiquement plus cher ce qui crée un frein à l’accès à leurs informations.

Pub et gratuité des médias

L’accès à l’information est au cœur de la question publicitaire. L’information de qualité a un coût et pour la rendre accessible gratuitement ou à prix modéré au plus grand nombre, la contribution de la publicité est bienvenue. Par exemple « Les Echos planète » propose un contenu gratuit grâce à un partenariat avec Rolex. L’alternative étant de faire payer pour accéder au contenu. Mais on s’est habitué à trouver l’information gratuitement sur Internet et peu de personnes sont encore prêtes à payer pour l’info.

 

Expérimenter un dispositif « Oui pub »

Actuellement, c’est au citoyen de faire savoir qu’il ne souhaite pas recevoir de publicités toutes-boites.

> Voir : Comment refuse la pub dans sa boîte aux lettres ?

La logique pourrait être inversée : il serait ainsi interdit de mettre de la pub non-adressée dans une boîte aux lettres, sauf si la personne l’autorise explicitement.

Une bonne façon de réduire les kilos de dépliants promotionnels qui s’entassent dans les entrées des immeubles et les poubelles de tri des citoyens !

Réduire l’impact écologique du support publicitaire

En plus de l’impact indirect des publicités (la consommation induite), celles-ci ont aussi un impact direct sur l’environnement.

  • Les affiches, imprimés et toutes-boîtes consomment beaucoup de papier, souvent pour une durée de vie assez courte.
  • La pub en ligne serait responsable de l’émission de 60 millions de tonnes éqCO2 au niveau mondial.[39][40] Cependant les incertitudes dans le calcul sont très élevées. À titre de comparaison, les émissions entières de la Belgique sont de 116 millions de tonnes éqCO2.
  • Un panneau publicitaire numérique consomme 2000 kWh par an, pratiquement autant qu’un ménage (hors chauffage et eau chaude).[41] Pourtant, l’utilisation d’un écran publicitaire aurait un impact carbone 68%[42] à 95%[43] moins élevé qu’un affichage papier. Mais si l’on tient compte de la fabrication du panneau, le bilan carbone n’est meilleur que de 18%.

Un camion avec un écran publicitaire... et le moteur qui tourne

Un camion publicitaire qui laisse tourner son moteur… C’est pourtant interdit pour tous les véhicules sauf les taxis et les bus.

Un premier pas serait de garantir l’extinction la nuit de tous les panneaux (hors ceux figurant sur un équipement urbain d’intérêt public). Il y a bien une circulaire wallonne[44] en ce sens mais elle ne concerne que les voiries régionales. La Province de Luxembourg a aussi signé une charte[45] pour cela. Mais à ce stade, c’est tout, même s’il serait question d’ajouter cette règle au RRU (Règlement Régional d'Urbanisme).

En France, il existe des propositions pour aussi soumettre à certaines règles les publicités lumineuses faites à l’intérieur d’une vitrine mais visibles depuis un espace public : extinction la nuit, normes de surface, de luminance, d’efficacité lumineuse des écrans… On pourrait s’inspirer de cette proposition pour faire évoluer le cadre légal belge également.

Il est aussi possible pour les annonceurs d’avoir une démarche proactive et de tenir compte de critères environnementaux quand ils développent leurs campagnes publicitaires. Des sociétés travaillent par exemple avec des écrans alimentés par un panneau solaire, certains abribus publicitaires ont un toit végétalisé, les dépliants peuvent être imprimés avec de l’encre végétale sur du papier recyclé… Mais cela a ses limites. Ainsi, une campagne éco-conçue pour « Garnier bio » affichait un bilan carbone huit fois moindre qu’une campagne classique… mais elle se montait encore à 15 tonnes de CO2![46]

Le rapport français « Publicité et transition écologique »[47] propose que le secteur publicitaire s’engage à viser la neutralité climatique en 2050, comptabiliser ses émissions et réaliser un reporting climatique. Malheureusement, la neutralité climatique utilise en partie la compensation carbone : payer pour les émissions que l’on n’arrive pas à diminuer en vue de financer des projets qui, eux permettent de capter du CO2 ou d’en émettre moins.

Bpost fait de la compensation carbone automatique

Bpost, indique qu’envoyer des pubs adressées est automatiquement compensé CO2, l’expéditeur ne doit rien faire.
 

Par ailleurs, une démarche d’éco-conception ne règle pas non plus les questions de l’envahissement publicitaire, de la dépendance des collectivités locales aux revenus publicitaires et aux contreparties offertes par les annonceurs[48] ni de protection de la vie privée (dans le cas de panneaux équipés de caméras pour permettre l’interactivité).

 

Refuser la pub quand c’est possible

De son côté, le citoyen peut décider de mettre en place certaines actions pour limiter son exposition à la pub.

On peut par exemple :

  • Apposer un autocollant sur sa boîte aux lettres pour refuser les toutes-boites
  • S’inscrire à a liste Robinson pour être retiré des listes de marketing direct (démarchage téléphonique)
  • Installer un bloqueur de pub sur son navigateur Internet
  • Se désabonner des newsletters commerciales

> Pour passer à la pratique : 7 astuces pour moins de pub

 


[1] Rapport « Publicité et transition écologique », Thierry Libaert et Géraud Guibert, juin 2020

[2] Le professeur Robert-Vincent Joule a écrit un excellent livre : « Petit traité de manipulation à destination des honnêtes gens ».

[3] Voir le livre « Le Bug humain: Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l'en empêcher » de Sébastien Bohler ou « Cerveau fatigué ? Gare aux achats impulsifs ! » dans La Libre.

[4] D’après Arnaud Pêtre, chercheur en neuromarketing, en 2007 (voir cet article sur Etopia et une analyse plus large de Résistance Agression Publicitaire). Il ne travaille plus sur le sujet, nous ne disposons pas de chiffres actualisés, mais ces chiffres sont toujours cités dans la plupart des études.

[5] D’après United Media Agencies, en 2020 et en Belgique, c’est le display qui a le reçu le plus d’investissement dans la publicité en ligne (30% de dépenses) suivi du social (25%), de la vidéo (21,5%), des moteurs de recherche (19%), et des autres supports digitaux (4%).

[6] D’après une étude de l’AACC (Association des Agences de Conseils et communication) en 2011. Voir le communiqué des presse.

[7] Source : Baromètre Shopper par Ipsos France et in-Store Media, 2019, cité par emarketing.fr.

[8] D’après une étude menée sur 200 sites et plateformes de vente en ligne aux États-Unis : « Impulse Buying : Design Practices and Consumer Needs » (PDF), Moser, Schoenebeck & Resnick, University of Michigan, 2019, cité par Slate.fr.

[9] Voir par exemple les chiffres de l’observatoire de l’epub du Syndicat des Régies Internet (France)

[10] Voir par exemple le colloque sur les changements de comportements organisé par le Réseau Idée en 2006 avec justement cette interrogation : comment les associations pourraient-elles utiliser les techniques des publicitaires pour mieux faire passer leurs messages ?

[11] D’après les chiffres de l’Institut Nielsen, analysés par l’agence Space, les investissements publicitaires hors numérique ont représenté 3,3 milliards d’euros en 2020 en Belgique. Comme le numérique représente environ 30% des dépenses publicitaires, on peut estimer l’investissement publicitaire total (numérique et classique) à près de 5 milliards d’euros.

[12] Ibid.

[13] The economic contribution of advertising in Europe, Deloitte, 2017 citée notamment par l’Union Belge des Annonceurs

[14] Passage de 185 millions en 2019 à 159 millions en 2020, d’après Trends Tendances, « La baisse des revenus publicitaires a fortement affecté RTL Belgium l’an dernier »

[17] Sondage réalisé en France.

[18] Anciennement nommé Conseil de la Publicité.

[20] Article « Le Jury d’Ethique Publicitaire s’auto détruit ! » sur le site de Canopea (anciennement IEW).

[22] D’après les chiffres de l’Institut Nielsen, analysés par l’agence Space.

[26] Ce bilan est établi tous les deux ans en France par ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) et l’ADEME

[28] Par exemple à Bruxelles, à Namur ou à Liège (www.liegesanspub.be).

[29] Quelques infos dans cet article.

[31] Voir par exemple les chiffres de la SSMG : en 7% Belgique 7% des jeunes (2-17 ans) sont obèses et 20% sont en surpoids.

[32] Pistes et éclairages économiques - Pour une contribution active de l’économie aux défis climatiques et environnementaux, Economic Prospective Club, Mars 2020 et Plan Sophia, Resilience Management Group juillet 2020, Memorandum "Pour un New Green Deal belge" de la Coalition Climat, mars 2021.

[32b] Voir la proposition de loi.

[33] Elles concernent la moyenne des émissions neuves dans l’ensemble du parc automobile. Voir Règlement (UE) 2019/631.

[34] 70% de pubs pour des véhicules avec des émissions supérieures 121,2 g CO2/km et 16% pour des véhicules avec des émissions inférieures à 95 g CO2/km.

[35] Si on considère que le secteur automobile dépense 300 millions d’euros par an et vend 500.000 véhicules chaque année, on peut déduire que chaque voiture vendue a nécessité 600€ d’investissements publicitaires. En France, ce chiffre monte à 1700 euros par véhicule vendu et même à 2300€ par SUV vendu ! Source : WWF France, rapport "Le trop plein de SUV dans la publicité", mars 2021.

[36] Illustration sur le site, consulté le 2/2/2021.

[39] Environmental impact assessment of online advertising, 2018 : en 2016 l’empreinte carbone de la pub en ligne était comprise entre 11,53 et 159,93 Mt éq CO2.

[40] éqCO2 = équivalent CO2. Par facilité, on utilise une seule unité pour parler de tous les gaz à effet de serre. On calcule ainsi la quantité de CO2 qui amène le même potentiel de réchauffement climatique (le forçage radiatif) qu’une quantité donnée d’un autre gaz à effet de serre.

[41] Source : Modélisation et évaluation environnementale de panneaux publicitaires numériques ADEME, septembre 2020. Cela correspond à une puissance de 300 W utilisée 18h par jour (en France les écrans publicitaires doivent être éteints la nuit, entre 1h et 6h,  dans les villes de moins de 800 000 habitants).

[42] Étude de 2019 transmise par Oxialive qui compare le bilan carbone en phase d’exploitation d’un écran numérique de 2m² par rapport à un panneau déroulant de même dimension.

[43] Bilan carbone réalisé pour la société Oxialive en 2010. Comparaison faite avec un panneau avec affiches papier et rétroéclairé.

[44] Extinction des panneaux publicitaire de type LED entre 23h et 6h, obligatoire depuis 2013. Voir https://www.uvcw.be/voirie/actus/art-2618

[45] Voir la charte « Espace étoilé » (PDF 2M ).

[46] Article « Vers une écologie de la publicité », dans Stratégies, juin 2019.

[48] Mobilier urbain, affichage d’informations d’intérêt général comme l’indice de qualité de l’air ou des avis de recherche.

 


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